9 novembre 2008
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20:50
Comme l'avait prévu Bajazet, l'emission de Gaëtan Naulleau Les enfants du baroque consacrée à la pronciation restituée dans les opéras français du XVIIème siècle (principalement ceux de Lully donc) fut très intéressante. On peut l'écouter pendant une semaine sur le site de l'emission.
Rappelons brièvement ce qu'est la prononciation restituée dite aussi ancienne: elle consiste à prononcer le texte comme on le prononçait à l'époque de la création des oeuvres, en l'état actuel des recherches sur la question; les deux exemples les plus significatifs sont: les "oi" qui deviennent "ouè" (la "glouèr" pour la gloire) ou les "s" du pluriels qui ne sont plus muets.
Comme le résume très bien Gaëtan Naulleau, le débat est le suivant: "Sommes nous en train de révéler ou de surcharger?"
Pour éviter de laborieuses répétitions, j'adopterai les abréviations suivantes:
Prononciation ancienne ou restituée = Pr
Prononciation moderne = Pm
Les forces en présence modérées par Gaëtan Naulleau étaient les suivantes:
Rappelons brièvement ce qu'est la prononciation restituée dite aussi ancienne: elle consiste à prononcer le texte comme on le prononçait à l'époque de la création des oeuvres, en l'état actuel des recherches sur la question; les deux exemples les plus significatifs sont: les "oi" qui deviennent "ouè" (la "glouèr" pour la gloire) ou les "s" du pluriels qui ne sont plus muets.
Comme le résume très bien Gaëtan Naulleau, le débat est le suivant: "Sommes nous en train de révéler ou de surcharger?"
Pour éviter de laborieuses répétitions, j'adopterai les abréviations suivantes:
Prononciation ancienne ou restituée = Pr
Prononciation moderne = Pm
Les forces en présence modérées par Gaëtan Naulleau étaient les suivantes:
Contre la Pr
Jacques Drillon, linguiste et critique musical au Nouvel Obs.
Hugo Reyne, chef d'orchestre défenseur bien connu des oeuvres de Lully dont il a entrepris l'enregistrement intégral avec sa Symphonie du Marais.
Pour la Pr
Michel Verchaeve, chanteur et fondateur de la Compagnie baroque, auteur d'un traité de chant et de mise-en-scène baroque.
Buford Norman, auteur de l'ouvrage de référence sur Quinault.
Une interview d'Isabelle Druet (qui chanté dans les deux prononciations) a été intégrée au débat.
Jacques Drillon, linguiste et critique musical au Nouvel Obs.
Hugo Reyne, chef d'orchestre défenseur bien connu des oeuvres de Lully dont il a entrepris l'enregistrement intégral avec sa Symphonie du Marais.
Pour la Pr
Michel Verchaeve, chanteur et fondateur de la Compagnie baroque, auteur d'un traité de chant et de mise-en-scène baroque.
Buford Norman, auteur de l'ouvrage de référence sur Quinault.
Une interview d'Isabelle Druet (qui chanté dans les deux prononciations) a été intégrée au débat.
Ce débat est plus que jamais d'actualité avec les productions de Benjamin Lazar, élève d'Eugène Green, qui fut l'un des premiers à proner une prononciation restituée. Vous trouverez plusieurs commentaires sur le spectacle Cadmus et Hermione réçemment sorti en DVD, ici, là ou de ce coté.
Avant de commencer, un petit rappel sur l'état des forces parmi les chefs d'orchestre qui jouent ce repertoire aujourd'hui (je me fonde sur leurs spectacles et enregistrements, toute correction quant à l'intention des intéressés ou leur éventuel changement d'avis est la bienvenue): tous ont pris le parti de la Pm, sauf Vincent Dumestre (avec Benjamin Lazar); Hervé Niquet hésite (dans ses productions il penche pour la Pm mais quand il fait travailler les jeunes chanteurs de l'Académie d'Ambronay pour une oeuvre du XVIIIème siècle, c'est étonnament la Pr qui l'emporte); Hugo Reyne y a renoncé (il a travaillé avec le jeune Benjamin Lazar et s'est donc essayé à la Pr).
On aurait cependant tort de penser que la majorité a raison, je dis cela simplement pour pointer du doigt le fait que les défenseurs de la Pr sont encore peu nombreux en pratique, de fait on ne peut pas tout de suite demander à ces musiciens qui défrichent une nouvelle façon de faire d'avoir l'excellence de leurs confrères qui se nourrissent d'un siècle de mémoire sonore de la déclamation théâtrale.
Voilà un résumé des arguments avancés et leurs contre-arguments, que je consigne ici pour permettre au débat de se poursuivre au dela de l'archivage audio de l'émission. Entre parenthèse les initiales des intervenants; en bleu les attaquants de la Pr, en rouge les défenseurs; je numérote les arguments pour vous permettre d'y réagir plus facilement. Suivra mon pti avis personnel et je l'espère le votre :-)
Contre la Pr
1. (HR) intéressante mais excessive, la Pr pourrait cependant permettre en s'assagissant de trouver un certain équilibre.
2. (HR et JD) L'état actuel des connaissances ne permet pas de rendre parfaitement la prononciation de l'époque.
3. (JD) La Pr rend le texte incompréhensible et attire trop l'attention sur le son au détriment du sens. (MV) C'est la faute de l'interprête et non de la Pr. (BN) Après un temps d'adaptation, l'écoute est plus attentive et l'on comprends mieux le texte (notemment grace à la lenteur du débit), (GN) on est ainsi plus attentif au sens. (JD) Il y a d'autres façons moins artificielles d'attirer l'attention du spectateur sur le texte.
4. (JD) Contrairement à la lutte pour l'utilisation des instruments anciens qui dépoussierait cette musique, la Pr rajoute un filtre superflu. (GN) L'utilisation des instrumens anciens n'est pas qu'un décrassage réducteur de cette musique, elle a aussi permis d'ajouter de nouvelles options. (JD) Tout comme lorsque l'on nettoie un tableau, on retrouve la vivacité des couleurs d'origine.
5. (HR) La volonté de toujours ajouter de nouvelles options interprétatives est le fruit d'un ego artistique mal contenu qui est contraire à la volonté de Lully de purifier la musique en cherchant le plus de classicisme possible.
6. (JD) L'idée selon laquelle la Pr correspond mieux à la tonalité de la musique de Lully est une invention intellectuelle pure (exemple du "a" dur) et déguiser un code sous une loi naturelle est une malhonneteté intellectuelle.
7. (JD) En s'attachant à rendre le texte en Pr, même si ce travail est utile, le jeu de l'acteur lui-même y perd.
8. (HR) La Pr est souvent un pis-aller pour des chanteurs qui ne savent pas varier l'expression.
9. (HR) La mise en musique de Lully est suffisante pour assurer la musicalité du texte.
10. (HR) Il est réducteur de concentrer le travail à accomplir sur ces oeuvres à la Pr.
Pour la Pr
A. Tout comme on l'a fait il y a peu pour le latin dans les oeuvres sacréés (ex: "dominus" et non "dominous"; "edificavit" et non "edificawit"; "ejus" et non "eyous"), (BN) l'on doit retrouver une prononciation plus fidèle pour restituer toute sa valeur musicale à la prosodie de ces oeuvres.
B. (GN) La Pr permet de retrouver la matière de la voix. (JD) Le grain de la voix existe toujours, même dans la Pm.
C. (MV) La Pr n'en est encore qu'à ses débuts et il faut du temps pour parvenir à une exécution dont l'excellence sera comparable à celle de la Pm.
D. (MV) La Pr est plus facile à chanter. (ID) Pas de différence fondamentale.
E. (MV) La Pr est indispensable pour rendre les rimes.
F. (MV) Dans les faits, le train est en marche, la Pr ne peut plus être ignorée. D'ailleurs cela répond à une envie du public venu assisté à guichet fermé à Cadmus et Hermione.
G. (GN) Les deux pronciations ont leur valeur et il faut laisser le choix aux artistes. (MV) La Pr doit faire partie de l'éducation du chanteur, même s'il s'en détourne cela influera sa Pm.
H. (MV) L'on dispose de notes de l'époque sur la déclamation dont il serait idiot de ne pas tenir compte. (JD) La prononciation et la déclamation n'ont pas le moindre rapport. (HR) Ni Lully, ni Quinault n'ont écrit de traité; quant à ceux qui nous sont parvenus, leur fiabilité n'est pas établie, ils se contredisent d'ailleurs.
I. (ID) La Pr cisele le texte et permet au chanteur de plus jouer avec le texte, de lui donner sa pleine mesure
J. (ID) Le défi du chanteur face à la Pr est justement de retrouver sa liberté au sein d'un code.
K. (ID) Tout comme pour le code chorégraphique, le public est davantage dans l'univers esthétique et s'en trouve plus touché, une fois le code accepté.
Tous les intervenants étaient de qualité, même si on a peu entendu Buford Norman et que l'agressivité de Jacques Drillon, si elle animait le débat, le déservait quelque peu.
Très beau débat donc dans cette émission qui m'a permi de mieux apprécier les mérites de la Pr, moi qui y était épidermiquement opposé. Tous les arguments me semblent valables, sauf le F: la production de Cadmus et Hermione a surtout joui de l'intérêt pour Lully, et pour le travail visuel de Benjamin Lazar plus que pour la Pr, le Théâtre des Champs-Elysées (qui peut accueillir plus de monde) a aussi fait salle comble pour Armide ou Thésée chantés en Pm et l'Opéra Comique n'était pas plein pour Le Carnaval et la Folie de Destouches chanté en Pr.
Réentendre Isabelle Druet chanter m'a presque convaincu de la beauté de la Pr. Et puis Françoise Masset est arrivée et le moderne a repris le dessus (hihi). Le chant de Blandine Staskiewicz aurait aussi été une brillante illustration.
Au final je reste partisan de la Pm, quoique l'on dise des progrès fait (et à faire) dans la restitution de la prononciation ancienne, même son exécution la plus parfaite rompera l'immédiate émotion ressentie à l'écoute du texte.
C'est aussi une question de génération et de passé esthétique: quand on a été impressionné par la langue de Racine prononcée de façon moderne, on a du mal à y renoncer, même pour des raisons philologiques.
Et je suis très sensible à l'argument 5 d'Hugo Reyne: la Pr sonne vraiment trop exotique, je n'attends pas ici de truculence du texte, juste la noble simplicité et la calme grandeur. Ce qui me parle dans l'opéra, c'est la façon de suresthétiser le réel, et particulièrement dans la Tragédie lyrique ou tout n'est qu'élévation et sublime; seuls les passages bouffes peuvent supporter la Pr, son coté paysan illustrant parfaitement la vulgarité (au sens propre, sans jugement de valeur) de ces passages.
Avant de commencer, un petit rappel sur l'état des forces parmi les chefs d'orchestre qui jouent ce repertoire aujourd'hui (je me fonde sur leurs spectacles et enregistrements, toute correction quant à l'intention des intéressés ou leur éventuel changement d'avis est la bienvenue): tous ont pris le parti de la Pm, sauf Vincent Dumestre (avec Benjamin Lazar); Hervé Niquet hésite (dans ses productions il penche pour la Pm mais quand il fait travailler les jeunes chanteurs de l'Académie d'Ambronay pour une oeuvre du XVIIIème siècle, c'est étonnament la Pr qui l'emporte); Hugo Reyne y a renoncé (il a travaillé avec le jeune Benjamin Lazar et s'est donc essayé à la Pr).
On aurait cependant tort de penser que la majorité a raison, je dis cela simplement pour pointer du doigt le fait que les défenseurs de la Pr sont encore peu nombreux en pratique, de fait on ne peut pas tout de suite demander à ces musiciens qui défrichent une nouvelle façon de faire d'avoir l'excellence de leurs confrères qui se nourrissent d'un siècle de mémoire sonore de la déclamation théâtrale.
Voilà un résumé des arguments avancés et leurs contre-arguments, que je consigne ici pour permettre au débat de se poursuivre au dela de l'archivage audio de l'émission. Entre parenthèse les initiales des intervenants; en bleu les attaquants de la Pr, en rouge les défenseurs; je numérote les arguments pour vous permettre d'y réagir plus facilement. Suivra mon pti avis personnel et je l'espère le votre :-)
Contre la Pr
1. (HR) intéressante mais excessive, la Pr pourrait cependant permettre en s'assagissant de trouver un certain équilibre.
2. (HR et JD) L'état actuel des connaissances ne permet pas de rendre parfaitement la prononciation de l'époque.
3. (JD) La Pr rend le texte incompréhensible et attire trop l'attention sur le son au détriment du sens. (MV) C'est la faute de l'interprête et non de la Pr. (BN) Après un temps d'adaptation, l'écoute est plus attentive et l'on comprends mieux le texte (notemment grace à la lenteur du débit), (GN) on est ainsi plus attentif au sens. (JD) Il y a d'autres façons moins artificielles d'attirer l'attention du spectateur sur le texte.
4. (JD) Contrairement à la lutte pour l'utilisation des instruments anciens qui dépoussierait cette musique, la Pr rajoute un filtre superflu. (GN) L'utilisation des instrumens anciens n'est pas qu'un décrassage réducteur de cette musique, elle a aussi permis d'ajouter de nouvelles options. (JD) Tout comme lorsque l'on nettoie un tableau, on retrouve la vivacité des couleurs d'origine.
5. (HR) La volonté de toujours ajouter de nouvelles options interprétatives est le fruit d'un ego artistique mal contenu qui est contraire à la volonté de Lully de purifier la musique en cherchant le plus de classicisme possible.
6. (JD) L'idée selon laquelle la Pr correspond mieux à la tonalité de la musique de Lully est une invention intellectuelle pure (exemple du "a" dur) et déguiser un code sous une loi naturelle est une malhonneteté intellectuelle.
7. (JD) En s'attachant à rendre le texte en Pr, même si ce travail est utile, le jeu de l'acteur lui-même y perd.
8. (HR) La Pr est souvent un pis-aller pour des chanteurs qui ne savent pas varier l'expression.
9. (HR) La mise en musique de Lully est suffisante pour assurer la musicalité du texte.
10. (HR) Il est réducteur de concentrer le travail à accomplir sur ces oeuvres à la Pr.
Pour la Pr
A. Tout comme on l'a fait il y a peu pour le latin dans les oeuvres sacréés (ex: "dominus" et non "dominous"; "edificavit" et non "edificawit"; "ejus" et non "eyous"), (BN) l'on doit retrouver une prononciation plus fidèle pour restituer toute sa valeur musicale à la prosodie de ces oeuvres.
B. (GN) La Pr permet de retrouver la matière de la voix. (JD) Le grain de la voix existe toujours, même dans la Pm.
C. (MV) La Pr n'en est encore qu'à ses débuts et il faut du temps pour parvenir à une exécution dont l'excellence sera comparable à celle de la Pm.
D. (MV) La Pr est plus facile à chanter. (ID) Pas de différence fondamentale.
E. (MV) La Pr est indispensable pour rendre les rimes.
F. (MV) Dans les faits, le train est en marche, la Pr ne peut plus être ignorée. D'ailleurs cela répond à une envie du public venu assisté à guichet fermé à Cadmus et Hermione.
G. (GN) Les deux pronciations ont leur valeur et il faut laisser le choix aux artistes. (MV) La Pr doit faire partie de l'éducation du chanteur, même s'il s'en détourne cela influera sa Pm.
H. (MV) L'on dispose de notes de l'époque sur la déclamation dont il serait idiot de ne pas tenir compte. (JD) La prononciation et la déclamation n'ont pas le moindre rapport. (HR) Ni Lully, ni Quinault n'ont écrit de traité; quant à ceux qui nous sont parvenus, leur fiabilité n'est pas établie, ils se contredisent d'ailleurs.
I. (ID) La Pr cisele le texte et permet au chanteur de plus jouer avec le texte, de lui donner sa pleine mesure
J. (ID) Le défi du chanteur face à la Pr est justement de retrouver sa liberté au sein d'un code.
K. (ID) Tout comme pour le code chorégraphique, le public est davantage dans l'univers esthétique et s'en trouve plus touché, une fois le code accepté.
Tous les intervenants étaient de qualité, même si on a peu entendu Buford Norman et que l'agressivité de Jacques Drillon, si elle animait le débat, le déservait quelque peu.
Très beau débat donc dans cette émission qui m'a permi de mieux apprécier les mérites de la Pr, moi qui y était épidermiquement opposé. Tous les arguments me semblent valables, sauf le F: la production de Cadmus et Hermione a surtout joui de l'intérêt pour Lully, et pour le travail visuel de Benjamin Lazar plus que pour la Pr, le Théâtre des Champs-Elysées (qui peut accueillir plus de monde) a aussi fait salle comble pour Armide ou Thésée chantés en Pm et l'Opéra Comique n'était pas plein pour Le Carnaval et la Folie de Destouches chanté en Pr.
Réentendre Isabelle Druet chanter m'a presque convaincu de la beauté de la Pr. Et puis Françoise Masset est arrivée et le moderne a repris le dessus (hihi). Le chant de Blandine Staskiewicz aurait aussi été une brillante illustration.
Au final je reste partisan de la Pm, quoique l'on dise des progrès fait (et à faire) dans la restitution de la prononciation ancienne, même son exécution la plus parfaite rompera l'immédiate émotion ressentie à l'écoute du texte.
C'est aussi une question de génération et de passé esthétique: quand on a été impressionné par la langue de Racine prononcée de façon moderne, on a du mal à y renoncer, même pour des raisons philologiques.
Et je suis très sensible à l'argument 5 d'Hugo Reyne: la Pr sonne vraiment trop exotique, je n'attends pas ici de truculence du texte, juste la noble simplicité et la calme grandeur. Ce qui me parle dans l'opéra, c'est la façon de suresthétiser le réel, et particulièrement dans la Tragédie lyrique ou tout n'est qu'élévation et sublime; seuls les passages bouffes peuvent supporter la Pr, son coté paysan illustrant parfaitement la vulgarité (au sens propre, sans jugement de valeur) de ces passages.