L'inconscience de l'artificière
Vivica Genaux
Pyrotechnics
Europa Galante
Fabio Biondi
1 Come in vano il mare irato – Catone in Utica (1737)
2 E prigioniero e re – Semiramide (1732)
3 Alma oppressa – La fida ninfa (1732)
4 Agitata da due venti – Griselda (1735)
5 Destin nemico... Destin avaro – La fida ninfa
6 Il labbro ti lusinga – source inconnue
7 Vibro il ferro – Ipermestra ? (1727)
8 No, ch'amar non è fallo in cor guerriero... Quell'usignolo – Farnace (1738)
9 Splender fra'l cieco orror – Tito Manlio (1720)
10 Vorrei dirti il mio dolore – Rosmira fedele (1738)
11 Chi può nelle sventure... Nella foresta – Catone in Utica
12 Ricordati che sei – Farnace
13 Sin nel placido soggiorno – source inconnue
Premièrement il faut oser affronter le boîtier placardé d'une photographie de la chanteuse, au teint verdâtre et regard absent, fagotée dans une douteuse tuniqué satinée. L'objet entier est d'ailleurs parsemé de ces déconcertantes gravures. Mais Vivica on la connaît plutôt bien, alors c'est avec une certaine impatience qu'on entame la consommation. Mais l'excitation est de courte durée. La faute pour beaucoup à Biondi, toujours en quête d'effets spéciaux supplémentaires. Mais chacun des acteurs de cet enregistrement participe au doux capotage du disque.
Ainsi, la boucle est fermée dès le premier numéro avec l'air de tempête de Fulvia, Come in vano il mare irato, pour moi immortalisé par une Cangemi flamboyante et tentaculaire. Le tempo frise ici le ridicule et met la mezzo en danger évident. La vocalise se fait imprécise, on entend plus le souffle que les aigus, le grave est caricatural bien qu'étouffé. Je suis resté un peu interdit. Comment a-t-elle pu se laisser entraîner dans cette impasse – stupéfiante dans le bien et le mal, il faut le confesser – elle qui pourtant se définit comme "une chanteuse d'un certain niveau" ? Cette frénésie ne colle même pas avec le drame, Fulvia exposant dans cet air sa détermination et le calcul maîtrisé de sa vengeance. Heureusement c'est la seule profonde erreur du programme. Mais de piste en piste, c'est souvent l'orchestre qui est incapable de doubler le sens du texte. Ainsi, lourd et sans impact dans Nella foresta, il regarde par la fenêtre pour Ricordati che sei, abandonne toute la poésie de Quell'usignolo et les vapeurs de Splender fra'l cieco orror. Le contresens culmine dans un Sin nel placido soggiorno aux allures alternantes d'orgue de barbarie et de locomotive. Globalement les sonorités sont âpres et le tissu maigre, même si le résultat n'est jamais profondément mauvais, évidemment. Rien de bien nouveau, donc.
Du côté de la chanteuse, on est par bonheur bien moins déçu. Les qualités qu'on lui reconnaît sont toujours là, bien que le grave se soit endurci (prise de son ?). Le choix de Il labbro ti lusinga, à l'évidence destiné à un soprano, interloque. Il fait appel à une tessiture beaucoup trop haute, où Vivica est presque désagréable à entendre. Sans parler du fait qu'elle n'y semble même pas à l'aise. La compilation dans son ensemble permet toutefois de goûter à son art de la variation, parfois excessif, c'est vrai, mais bougrement imaginatif. Et surtout on a droit à des ornements sur une large gamme de fréquence, ce qui est plutôt bienvenu après tant de versions de Alma oppressa. On pouvait craindre une saturation après le triplet virtuose en début de programme; d'après moi c'est ce qui est le plus réussi dans ce disque. Elle parvient à ne jamais totalement privilégier l'agilité à l'expression, et les "pianto versai" de l'air de Morasto sont par exemple d'une vérité d'émotion surprenante.
Dans son interview, la chanteuse insistait sur l'ivresse de travailler avec des partitions inédites. Pour le coup on reste un peu sur sa faim. Les nouveautés sont au nombre de quatre seulement, et à part celle issue de Tito Manlio, aucune ne frappe. Cet air de Servilia tranche d'ailleurs avec les autres que l'on a été amené à connaître, par son ardeur plus ténébreuse, presque vindicative, alors que le rôle enchaîne habituellement les airs de douceur et d'abandon solaire. Sinon on peut remarquer que Quell'usignolo a été traité par Vivica à la fois chez Giacomelli et Vivaldi. Chez le second, inutile d'attendre les délires vocaux du premier, et de toute façon Vivaldi a su dans d'autres opéras être un bien meilleur ornithologue qu'ici. Notre intérêt documentaire n'est pas consolé par la notice indigente de Delaméa. Certes il ne doit plus rester grand-chose de passionnant à raconter, mais cette multiplication de comparaisons entre les airs et des fumigènes ou autres feux de Bengale est franchement stérile.
Que retenir de ce récital, globalement fort bien chanté mais entaché par l'empreinte souvent grossière de Biondi ? Il semblerait que la chanteuse se soit aveuglément abandonnée à sa générosité et sa confiance pour le chef, qui a d'ailleurs affirmé qu'une suite d'airs virtuoses était "presque nécessaire pour mettre en valeur le talent de Vivica". Non seulement cela me paraît plutôt insultant, mais faux en plus. Elle est capable de bien belles choses dans le chant le plus dépouillé (Arminio handelien ou Teologia scarlattienne). Il était prévisible qu'un disque basé sur le concept de la vocalise tourne vite à vide, surtout s'il repose sur un seul compositeur. Je suis frustré qu'elle travaille si fréquemment sous la direction de quelqu'un d'aussi unilatéral que Biondi.