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Psychologie

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5 avril 2009 7 05 /04 /avril /2009 12:22
La Cage aux Fées

Die Feen
de Wagner
Théâtre du Châtelet
Générale du 25 mars et représentation du 4 avril  2009

Mise en scène : Emilio Sagi
Décors : Daniel Bianco
Costumes : Jesus Ruiz
Lumières : Eduardo Bravo
Mouvements chorégraphiés : Diniz Sanchez

Ada : Christiane Libor, soprano
Farzana : Salomé Haller, soprano
Zemina : Eduarda Melo, soprano
Le Roi des Fées / Groma : Nicolas Testé, basse
Le prince Arindal : William Joyner, ténor
Lora : Lina Tetruashvili, soprano
Morald : Laurent Alvaro, baryton
Gernot : Laurent Naouri, baryton
Gunther : Brad Cooper, ténor
Drolla : Judith Gauthier, soprano
Harald : Neil Baker, baryton
Un messager : Vincent De Rooster, ténor

Chœurs des Musiciens du Louvre
Les Musiciens du Louvre - Grenoble

Marc Minkowski

Photo: Pierre Verdy/AFP


Une révélation! Je ne connais encore que peu d'oeuvres de Wagner (essentiellement Tristan, Tannhauser et Parsifal), mais cette oeuvre de jeunesse, jamais représentée à Bayreuth et qui semble bien embarassante pour les historiens de la musique qui n'y voient que conventions, est pour moi une véritable révélation. Il s'agit ici de bien plus que d'un coup d'essai: on peut d'ailleurs aisément faire le parallèle avec Mozart, lequel ayant eu la bonne idée de mourir bien plus jeune que Wagner, eu le droit de voir ses oeuvres estampillées "de la maturité" bien plus tôt, ainsi l'abord de ces dernières devient fréquentable plus tôt et l'on peu écouter Mithridate ou Lucio Silla en pensant que, quand même, c'est pas mal pour un gosse de 14 ans. Mais le pauvre Wagner doit attendre Le Vaisseau fantôme pour se voir taxer de génie, tout juste reconnait-on ainsi le talent de Rienzi, mais Les Fées, c'est vraiment trop loin de la maturité pour être autre chose qu'une oeuvre scolaire et sans originalité. Et pourtant j'ose le dire, ces Fées relèvent pour moi du même coup de maitre que Mithridate: Mozart pour son premier opera seria réussit le tour de force de composer un modèle du genre, de même Wagner pour ces Fées. Certes il n'a pas encore construit le théâtre lyrique pour lequel il est resté célèbre et l'on peut s'amuser à distinguer les influences dont se nourrissent ces Fées, mais pour qui s'attend à voir un opéra romantique et fantastique, c'est une oeuvre passionnante à l'élan dramatique et musical irresistible. Et qu'elle soit si peu représentée montre bien que les réputations baties par les historiens de la musique sont souvent plus nuisibles qu'autre chose.

Musicalement ici, il n'y a guère que l'ouverture que je trouve maladroite: on y trouve déjà l'esquisse du système de leitmotiv (au moins 2 sont évidents: celui du dilemme déchirant d'Ada et celui de la victoire finale), mais la progression en est vraiment trop alambiquée, trop de contrastes, de redémarrage, obscurcissent la perspective, laquelle devrait ouvrir sur l'opéra. Mais passé cela, bien des morceaux de cet opéra seraient à citer parmi les plus belles réussites de l'opéra romantique: le superbe choeur initial, l'air d'entrée d'Ada, le final du I, l'air d'entrée de Lora (avec des vocalises qu'on dirait du Halévy!), la scène comique du II entre Gernot et Drolla (oui du comique chez Wagner, vous avez bien lu, et parfaitement mené!), la folie d'Arindal, la scène des épreuves et la grande scène triomphale qui conclut l'oeuvre. Entre ces morceaux ont trouve des passages qui m'ont semblé plus conventionnels, mais pas moins efficaces pour autant. Bref cet opéra c'est du Weber dopé au grand opéra français.

C'est aussi grace à un livret plutot bien écrit: passé le folklore du conte de fées et l'amont du drame assez emberlificoté, l'oeuvre est bien construite. L'Acte I est celui de l'exposition et du serment, il se passe entièrement au royaume des fées; l'Acte II se trouve lui au royaume terrestre et voit se dérouler les péripéties (la bataille, le parjure d'Arindal et la pétrification d'Ada); l'Acte III enfin est celui des épreuves où Arindal rattrape ses bourdes par son courage. Et au sein de chaque acte les scène s'enchainent très efficacement et logiquement.
Les personnages sont très bien choisis et vont toujours par couple: Arindal et Ada, Morald et Lora, Gernot et Drolla pour les couples d'amoureux; Farzana et Zemina (non ce ne sont pas des noms de pâtes, mais deux fées contre Arindal qui veulent que leur reine conserve son immortalité - si Ada se marie à un mortel, elle le devient aussi), Morald et Gunther pour les opposants au couple principal qui se veulent chacun adjuvants pour l'une des parties;  Lora et Arindal, frère et soeur; Arindal et Gernot, Lora et Drolla pour les couples maîtres/valets. Il n'y a que Groma et le roi des fées qui, en bon monarques, soient seuls.
Cela dit le livret n'est pas non plus exempt de défauts: le personnage d'Arindal notemment est vraiment un héros couillon, mais cela me semble bien convenir à l'image du héros téméraire mais pas intello pour deux sous de l'époque. Le simple fait qu'il maudisse Ada alors que celle-ci insiste très lourdement avant et pendant la mise-à-l'epreuve de sa fidélité pour qu'il ne le fasse pas; ou bien la nécéssite pour Groma pendant les épreuves de III de toujours rappeller à Arindal que, putain il lui a donné 3 objets magiques, c'est pour s'en servir! Pareillement le coup de la mère matricide à la Médée est un peu enooorme, à la mode certes mais dans Norma c'était tout de même fait avec plus de subtilité, par ailleurs ici on comprend mal que tout le monde se réjouisse de voir surgir les deux marmots alors que l'ennemi est aux portes et qu'ils vont certainement tous y passer.

Photo: Pierre Verdy/AFP


Alors avec un si bel opéra, comment s'en tire Emilio Sagi la mise-en-scène? Après la générale j'étais assez sévère, cette abondance de kitsch fait vite oublier toute vélléité de trouver du sens quelque part, et puis certains effets n'étaient pas encore réglés (les flash quand les enfants plongent dans la fournaise notemment). En la voyant une seconde fois, je serai plus indulgent. C'est kistch, c'est certains, mais du kitsch bien fait et riche, pas du Deflo quoi, on est plus proche de l'esthétique d'un James Bidgood par exemple. Et pour une histoire de fées façon Disney, pourquoi pas après tout. Le problème vient du fait qu'Emilio Sagi est plus un décorateur qu'un metteur en scène d'une part, et d'autre part que le sens qu'il apporte aux décors et costumes n'est pas assez lisible et cohérent pour que l'on ne se demande pas si l'on ne surinterprêtrait pas un peu tout de même.
Esthétiquement, c'est plutot bien fait, certes les danseurs en robes mousselines colorées façons smarties et avec des crêtes iroquois déteintes, faut aimer, le problème c'est quand on fait porté des robes du même acabit aux choristes lors du final, lesquels ont un corps bien moins sculpté que les danseurs évidemment, là ça vire à la cage aux folles, et quand les lumières se rallument pour les applaudissement... :-/ Les éclairages sont efficaces et jolis à défaut d'être plus.

Les costumes ont parfois du sens: l'armure dépourvue de corset pour Arindal au I, qui le retrouve au II, symbole de son renoncement à la lascivité (mais alors pourquoi Morald et Gunther sont aussi torse nu au I?), les longs doigts pointus en guise de baguettes magiques que portent les fées lorsqu'elles usent de leurs pouvoirs et qu'Ada retire un à un après le parjure au II, les ailes de fées (qui ressemblent plus à des filets de pecheurs teints par des hippies qu'autre chose, je vous l'accorde) qu'Ada retire après son air d'entrée signifiant ainsi que son choix est déjà fait; le grand drap troué d'où emergent les fées pendant le choeur intial qui ménage un bel effet de drapé (rappelant la célèbre photo de Rosa Ponselle en Norma) et souligne l'attachement quasi arachnéen des fées entre elles. Pas compris par contre pourquoi les sujets assiegés de l'acte II avaient le visage voilé.

Pour les décors ça devient plus aléatoire: le caisson bleu qui sert de cage de scène est assez élégant, permet de beaux éclairages et un renvoi de la voix des chanteurs optimal; la grosse rose sur laquelle apparait Ada relève par contre du contre sens total (en quoi l'amour serait-il pour elle un trône? au contraire son amour pour Arindal l'en éloigne!); la figure féminine en papier maché au II est d'un mauvais gout trop effrayant, je veux bien penser qu'elle traduit la vanité des aspirations d'immortalités et d'éternelle jeunesse auxquelles Farzana et Zemina veulent faire succomber Ada (d'où aussi leur jeu autour de la petite table à maquillage pendant cette scène), à la fin de la scène, Ada court d'ailleurs vers cette sculpture géante en fond de scène et la retourne aux yeux du public laissant apparaître sa grise cavité, laquelle peut aussi designer la pétrification à laquelle Ada se condamne en choisissant l'amour d'Arindal qu'elle sait faible humain (je suis bonne poire hein?!); pour le lustre échoué de l'acte III, je veux bien y voir aussi le symbole d'un royaume dont le luxe est rétabli après la victoire militaire, mais terni par la folie de son roi; mais je ne peux rien pour le gong sorti d'un mauvais épisode d'Indiana Jones au début du II, ainsi que le réseaux de tubes (??), encore moins pour les rideaux de ficelles lors de la scène des épreuves au III, désolé.

Ce pour quoi je ne peux rien non plus, c'est la direction d'acteurs... quand elle n'est pas conventionnelle, elle est totalement grotesque: la scène des apparitions pour tromper Arindal au I, apparitions que déjoue la magie d'Ada absente est totalement ratée (Gunther et Morald portent à tour de rôle des têtes énormes venues de Disneyland, et la révélation de la tromperie devrait être rendue par la chute de ces têtes, mais comme faut pas les abîmer, ce sont Gunther et Morald qui les font maladroitement choir en prenant bien soin de ne pas leur faire heurter le sol); les fumigènes pendant le récit de Gernot sont un effet assez pauvre qui n'est pas soutenu par des éclairages adéquats et encore moins par la gesticulation animale des trois compères; Arindal et sa poupée Barbie qu'il sert compulsivement, c'est en faire un être puéril qui ruine totalement l'image du guerrier amoureux que l'on trouve déjà dans les opéras du XVIIIème; les légos de l'acte II qui ont du être pensés pour traduire la débandade du royaume, tous ses sujets qui s'enfuient avec leurs effets avant de retrouver l'espoir à l'annonce du retour d'Arindal et de rebatir la cité, mais pourquoi Drolla et Gernot jouent-ils avec dans leur scène comique?; la corde qui sert à traduire la tourmente de la foule dans la bataille est un effet mal pensé, cache-sexe du manque d'imagination du metteur-en-scène pour régler les mouvements de foule; la folie d'Arindal passe totalement à la trappe, on croit juste à un être au mieux désespéré; et il est étonnant de la part d'un metteur-en-scène qui joue la carte de la féérie, de choisir de ne pas représenter la scène finale des épreuves, mais de la signifier par l'ouverture de boites qui oscille entre un mauvais jeux télé présenté par Arthur et l'effet lampe-torche des gosses qui se font peur sous la tente en colo, et pourquoi faire retirer le lustre au moment de la première épreuve quand on croit venir l'armée défendant l'entrée du royaume des fées? ah non ce ne sont que les déménageurs de l'amicale des chippendales; et pour ce qui est du gadget final (ces petits cercles lumineux que brandissent tous les chanteurs) on hésite entre le 14 juillet et une secte raëlienne. Pour finir sur une note positive, on peut par contre souligner que l'apparition de Gernot, Morald et Gunther sous le drap des fées qui se retirent, l'immolation des enfants, tout comme la pétrification dans ce grand cerceau en néon rouge sont plutot réussies.
Bref n'est pas David McVicar qui veut, mais on aurait tort de rejeter en bloc cette mise-en-scène qui joue le jeu du féérique parfois maladroitement et se veut un peu plus signifiante qu'une bluette du Met.


Photo: Pierre Verdy/AFP


Musicalement par contre, c'est la fête et c'est bien parce que tout y est sujet d'admiration que l'on se prend à critiquer autant la mise-en-scène: Les musiciens du Louvre, leur choeur et Marc Minkowski sont proprement extraordinaires, on savait déjà que Minko était un maitre incontesté de Monteverdi à Mozart en passant par Handel et Gluck, et en poussant jusqu'à Berlioz et Weber (Obéron il y a quelques années à Gand je crois), on veut maintenant l'entendre plus souvent dans Wagner! L'excellence des musiciens (mon Dieu ces cordes!! cela dit en passant j'ai reperé un altiste absolument craquant) y est évidemment pour beaucoup, mais il n'est qu'à voir à quel point Minko dirige avec ferveur et enthousiasme pour comprendre d'où ils puisent leur energie. Cet orchestre là n'a pas à rougir dans le repertoire romantique devant les plus grandes formations mondiales.

Photo: Marie-Noelle Robert

J'avais trouvé William Joyner très insuffisant lors de la générale, en manque permanent d'aigus, sussurant tout l'acte III, mais il en avait bien le droit pour la générale, surtout pour finalement apparaître bien plus en forme une semaine et demie plus tard. La voix est toujours avare de couleurs, l'acteur rudimentaire, les aigus sont moins mis en mal sans être tous assurés pour autant, mais l'allemand est excellent, le chanteur vaillant et la discipline vocale louable dans Wagner où jamais il ne braille comme bien d'autres ténors wagneriens.
Christiane Libor fut par contre moins éclatante, le rôle est tout autant écrasant que celui de son amant, et sans doute la fatigue se fait sentir, à ce régime c'est bien compréhensible. Elle ne ménage pas ses efforts, l'émission est très haut placée d'où un déluge d'aigus parfaitement assurés, ce qui ne l'empeche pas d'aller chercher dans le grave, mais lui interdit d'avoir un allemand compréhensible. Dommage que l'actrice soit aussi prudente, un soutien du coté de la régie lui aurait beaucoup apporté, au moins se montre-t-elle très digne, et quand la musicalité vous sert à ce point de théâtre, surtout dans une oeuvre à la musique si pétrie de drame, ce n'est pas gênant du tout.
Salomé Haller est une Farzana superbe, parfaitement chantante (comme toujours!) et qui prend un plaisir évident à jouer les garces (dans la scène des épreuves notemment). La voix d'Eduarda Melo est par contre très aigre et acide, mais à coté d'une Farzana si ronde, sa Zemina y gagne en tranchant, toutes deux forment un couple parfaitement équilibré.  
Lina Tetruashvili est sans doute celle qui fut la plus usée par les représentations: alors que son air d'entrée était parfaitement éxécuté et brillant lors de la générale, les aigus sont apparus grisonnants pour la soirée du 4, et la voix souvent en difficulté, handicapant ainsi la vaillance qu'elle cherche légitiment à insuffler à ce personnage de soeur combattive. Peut-être aussi le rôle aurait-il eu besoin d'une voix plus corsée, nonobstant ces critiques, elle campe son personnage avec enthousiasme.
Laurent Naouri est un Gernot délectable, l'acteur est toujours aussi vif et si l'allemand est mal accentué, au moins est-il parfaitement articulé, on ne va pas faire les difficiles devant une tel naturel théâtral et musical.
A ses coté Judith Gauthier confirme tout le bien que j'avais pensé d'elle en Oberto, elle est ici clairement sous-employée, mais s'ingénue à jouer les servantes avec un plaisir évident.
La voix de Laurent Alvaro ne m'avait jamais semblé si imposante, certains prétendent qu'il est sonorisé: ayant été assis assez proche de la scène je peux assurer que tout venait bien de lui, et à moins que ses impressionnants pectoraux ne recelent des enceintes habilement dissimulées, on ne peut qu'admirer voix de basse si bien projetée, au détriment d'une certaine variété oui, mais il y a tellement de basses qui projettent moins bien et sans varier que l'on ne va pas bouder notre plaisir auditif. Par ailleurs il sait très bien baisser le volume lors des duos et ensembles pour ne pas les déséquilibrer.
En roi des fées et Groma, Nicolas Testé est majestueux, la voix parait un peu abimée en comparaison de celle d'Alvaro, mais non moins vaillante et cela s'accorde bien avec la sagesse de l'age des deux monarques/magiciens.
Brad Cooper, Neil Baker et Vincent de Rooster chantent tous très bien leurs petit rôle, sans grande aura, mais faut pas non plus leur demander l'impossible avec si peu de notes.


Photo: Marie-Noelle Robert


Au delà d'une mise-en-scène incomplète et qui se fourvoye souvent (ça prouve au moins qu'elle essaye!), on retiendra donc de cette soirée un véritable enchantement musical et la découverte d'une oeuvre qui mérite bien plus d'honneurs que ceux qu'on lui a réservé jusqu'ici.

On trouve quelques vidéos de la générale sur internet: deux de bonne qualités sur le site classiquenews.com, mais il faut supporter le discours assez creux de Sagi entre les extraits. Et deux sur le site rue89, d'assez mauvaise qualité cependant.

Choeur initial



Final de l'acte II après le parjure d'Arindal


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6 mars 2009 5 06 /03 /mars /2009 22:20
Vous voilà de nouveau dans la capitale, rentré de vacances, et prêt à affronter l'hiver l'automne la fin de l'été que savez déjà pourri. Vous en profitez donc pour enfin jeter un oeil à la programmation lyrique des différents opéras l'année prochaine. Et là, horreur, il y a tellement de trucs que vous ne savez pas quoi voir: vous iriez bien voir ça parce qu'il y a un chanteur connu mais vous avez peur de ne pas aimez l'oeuvre, ça pourquoi pas mais de là à prendre votre billet tout de suite non, et puis on vous a aussi conseillé d'aller voir des raretés mais comment savoir lesquelles risquent d'être vraiment intéressantes? Et puis n'oublions pas nos amis qui vivent en Province et qui en plus de toutes ces questions, doivent se soucier de l'organisation de leur voyage, alors tout ça pour un truc qui risque d'être nul, non vraiment autant rester chez soi.

Heureusement Licida est là pour vous guider dans cette orgie musicale parisienne: Paris est la ville au monde qui propose la meilleure programmation de concerts/spectacles de musique classique et d'opéra si l'on regarde à la fois le nombre (on peut presque trouver un concert tous les soirs), l'étendu du repertoire (du baroque au contemporain) et la qualité des interprêtations (à la fois grace aux spectacles montés par les maisons parisiennes, mais aussi grace aux tournées internationales qui passent souvent par Paris). Ce serait vraiment bête de ne pas en profiter par ignorance.

Je vous propose donc mois par mois, ma petite sélection: évidemment ce choix est purement subjectif (d'où la possibilité pour toi, lecteur, d'adapter ton jugement par ton esprit critique à l'égard de mes marottes) et les spectacles non mentionnés ici le sont soit du fait d'un arbitrage (autre chose le même soir), soit du fait de la quasi assurance d'un gros ratage (mais je peux me tromper!) soit parce que mon emploi du temps et mon porte monnaie s'y refusent étant donné la très moyenne satisfaction attendue. Ce programme a surtout le mérite d'éviter les doublons ("Ah merde j'ai pris une place pour Garnier et une autre pour l'opéra comique le même soir!") et de vous proposer un défrichage de la saison. Pour aller plus vite je n'écris les titres de concerts que par mot clef, pour plus de détails, vous pouvez vous référez aux sites internet des différents opéras.

Avant de commencer, je tiens tout de même à souligner que je verse ici abondamment dans le préjugé, mais sur la base de jugements antérieurs personnels et non d'une stupide doxa. Il n'en reste pas mois que tous les commentaires qui vont suivre ont infiniment moins de valeur que n'importe quel jugement a posteriori.

Tous les commentaires, compléments, contre-indications ou au contraire propositions ferventes sont les bienvenus, surtout pour les oeuvres que je ne connais pas.

Alors allons-y, vous trouverez un très zoli tableau Excel ici où tout il est bien clair, et dans cet article des commentaires à la volée par période (l'article sera donc mis à jour plusieurs fois dans la saison). Désolé pour les concerts qui sont déjà passés mais la maison a vraiment des problèmes avec le respect des délais. Sont signalés en rouge les spectacles/concerts que je ne manquerai pour rien au monde (mais cela n'engage que moi).

Abréviations:
ONP: Opéra National de Paris (Garnier et Bastille)
OC: Opéra Comique
TCE: Théâtre des Champs-Elysées
CMBV: Centre de Musique Baroque de Versailles


SEPTEMBRE

Oui bon je sais la moitié du mois est presque passée et si vous avez loupé Onéguine et von Otter c'est pas de chance. Pour les deux semaines qui restent: Le New York City Ballet propose plusieurs programmes intéressant à Bastille (avec pas mal de Balanchine et de néoclassique), c'est une compagnie réputée que je n'ai encore jamais vu donc je ne m'avance pas trop. Dans le même genre l'hommage à Jerome Robbins à Garnier avec le ballet de l'ONP devrait être tout aussi interessant. Sinon ne pas louper l'Ezio de Handel à Poissy dirigé par Curtis (oui bon, ben...) et chanté par une distribution royale (Hallenberg, Gauvin, Priante, Prina et Christoyannis, seule Pizzolato est un niveau en dessous) digne des meilleurs soirées baroque du TCE. Enfin si comme moi vous aimez les orgues bruyantes, Chung dirigera la 3ème symphonie de St Saens à Pleyel.


OCTOBRE

June Anderson
, chanteuse très rare à Paris, donnera un récital pas très original mais qui promet de bons moments à Pleyel, évidemment c'est plein à craquer et il n'y avait même pas de tarifs jeunes donc qu'ils aillent se faire foutre. Au CMBV, Hugo Reyne, valeur sure, dirigera le Ballet des arts de Lully, je ne connais pas du tout l'oeuvre mais la découverte peu valoir le coup de se bouger jusqu'à Versailles. L'Orchestre symphonique de Budapest dirigé par Ivan Fischer vient comme tous les ans jouer du Mahler à Pleyel et comme tous les ans ce sera incompréhensiblement vide donc profitez-en, ils sont formidables là dedans. L'Armide de Lully au TCE est très attendue: très belle distribution, gros espoirs en William Chrisite dont on espère qu'il retrouvera l'excellence de son Atys historique (et le récital avec Von Otter il y a quelque jours incline à le penser) mais pas gros espoirs en Carsen dont l'on se doute qu'il reproduira ses tics habituels de mise-en-scène, prions pour qu'il n'y ait pas de contre-sens grossier. Le récital de Mathias Goerne à Pleyel est incontournable, même si la salle est sans doute trop grande pour le programme intimiste (prenez des places proches de la scène au parterre!). La Petite renarde rusée de Janacek à Bastille: je découvrirai, André Engel n'est pas un metteur-en-scène à craindre, c'est toujours honnête à défaut de génial avec une grande attention portée à la variété des décors. Enfin La Fiancée vendue (troisième découverte du mois pour moi!): on ne m'a dit que du bien de l'oeuvre et Deflo peut faire quelque chose de très bien dans le repertoire comique (voir son Amour des trois oranges), c'est dans le sérieux qu'il est en dessous de tout, la distribution semble prometteuse.


NOVEMBRE

Röschmann dirigée par Boulez dans du Mahler, ça ne se refuse pas, ce sera à Pleyel. Si c'est déjà plein, rabattez vous sur un des nombreux concerts que Boulez donnera à la Cité de la Musique (mais sans la belle Dorothea). Keenlyside et Kirschlager viendront chanter le programme de leur réçent disque d'airs d'opérettes au TCE et, o surprise, c'est Minkowski qui dirigera; esperons que Kirschlager saura se montrer à la hauteur de sa réputation contrairement aux deux derniers concerts dans lesquels je l'ai entendue. Encore une reprise du Tristan de Sellars/Viola mais on ne s'en lasse pas, une très bonne façon de commencer Wagner (du moins ce fut la mienne) d'autant que Waltraude Meier est une Isolde sidérante. Si vous ne l'avez toujours pas vu, ce spectacle est une priorité absolue. Jonas Kaufmann, le ténor frisé qui nous a fait frissonné dans Carmen à Londres, donnera un récital de lieders à Garnier, on l'y dit excellent (il donnera aussi un récital d'airs d'opéra au TCE en mars). Je suis circonspect pour le Cosi fan tutte du TCE: très belle distribution et l'occasion d'entendre Rinat Shaham dont on  me dit le plus grand bien, mais le tandem Irina Brook et Spinosi ça sent la cata à plein nez! Encore un récital Garanca au TCE, le même que tous les ans... Après celui de Handel Poissy présentera l'Ezio de Gluck (première version) toujours par Curtis et sa distribution prestigieuse. Le 19 novembre, la seule raison d'aller au TCE est La Mort de Cléopatre par Anna-Caterina Antonacci qui devrait reproduire le miracle de sa Cassandre, j'en trépigne d'avance. Une création avec Sting et Elvis Costello au Châtelet, Welcome to the voice, j'irai par curiosité, c'est une des (rares) productions intéressantes de leur saison. Pido dans Donizetti c'est souvent formidable, Anna Bolena est une oeuvre passionnante pour peu que les chanteurs s'y donnent à fond: pas d'inquiétudes pour Ganassi et Custer, reste à savoir ce que vaut Ermonela Jaho dans le rôle titre. Joli programme Moussorski/Brahms par George Prêtre et l'orchestre de l'ONP à Bastille (moi j'aime bien Prêtre!). Attention évenement incontournable: l'Idomeneo de Mozart dirigé par Jacobs avec une distribution de rêve incluant Richard Croft (le plus grand ténor baroque du Siècle, je le dis comme je le pense), à ne pas louper, une version que l'on prédit déjà de référence en attendant la version Minkowski à Aix. Enfin Mariss Janssons dirigera l'orchestre de la radio bavaroise, j'avais adoré ce chef dans Lady Macbeth de Mzentsk à Amsterdam.


DECEMBRE

Avant la disette du changement d'année, profitez-en pour faire le plein de belles choses: le Dido & Eneas de Purcell à l'OC s'annonce plutot bien, malgrè William Christie que je crains dans ce repertoire (brrrr ce disque avec Véronique Gens où chacun semble vouloir avoir l'air plus pincé que l'autre), Malena Ernman est trop rare pour la manquer dans ce rôle très payant; par ailleurs Christopher Maltman est un très bon chanteur doublé d'une bombe sexuelle, faut-il le rappeler; enfin c'est l'excellente Hilary Summers qui chantera la sorcière; ajoutons à cela une metteur-en-scène dont on m'a dit le plus grand bien, et voilà mes peurs sur l'orchestre surmontées.
Le disque devrait sortir très prochainement et l'on pourra admirer la tumulteuse Joyce Didonato dans des airs de fureur de Handel à Pleyel: si son excellence dans ce repertoire et dans ce type d'airs n'est plus à démontrer, je suis en revanche plus dubitatif sur les Talens lyriques dirigés par Christophe Rousset dont les démons mécaniques semblent revenir au galop, peut-être cela contrebalancera-t'il utilement les délires télluriques de la chanteuse, nous verrons.
Malgrè Sylvain Cambreling à la direction, il faut aller voir le Fidelio donné à Garnier: si je ne garantis rien pour la mise-en-scène de Johan Simons (celui qui avait fait le Boccanegra à Bastille), Angela Denoke ça ne devrait pas être dégueu, et Jonas Kaufman devrait avoir bien plus à dire ici qu'en Alfredo qui passe la tondeuse!
L'hommage à Béjart programmé à Bastille est aussi alléchant que classique (Oiseau de feu; Sacre du printemps), reste à savoir si les danseurs du ballet de l'opéra s'en sortiront dans la mesure où ces chorégraphies sont assez éloignées de leur repertoire contemporain habituel.
Je sais que je serai déçu par On the town au Châtelet, tant j'aime le film (d'ailleurs quelqu'un sait-il si toute la musique du film sera reprise? i.e. même ce qui n'est pas de Bernstein?) mais je prends le risque d'être contredit. La musique est merveilleuse, le drame assez efficace, si vous ne connaissez pas c'est vraiment l'occasion: c'est aussi fun que West Side Story est émouvant.
Enfin le récital Rossini de Bartoli à Pleyel s'annonce bien mystérieux: on ne sait rien du programme, sans doute des mélodies puisqu'elle sera accompagnée au piano... De toute façon c'est  hors de prix pour un récital piano et sans doute déjà plein, heureusement j'ai réussi à choper une place jeune.


JANVIER

Allez! Allez! On se reveille! On se remet de la gueule de bois du Reveillon et on y retourne, les mois de janvier et de février sont certainement les plus riches de cette saison: on commencera par l'Orpheus de Telemann à la Villette le 6 avec Ann Hallenberg (oui je sais j'avais dit que Telemann me faisait chié mais en réécoutant La Patience de Socrate, j'ai trouvé ça formidable musicalement, allez comprendre!) et dirigé par David Stern (il ne m'avait pas convaincu du tout dans Le Jour du jugement dernier du même Telemann, mais on verra bien).
Puis ce sera le grand retour parisien de Marijana Mijanovic le 9 au TCE et ça ne se loupe pas! D'autant qu'elle chantera "Sovente il sole", "Cessate omai cessate" et "Se fiera belva ha cinto" un des airs qu'elle réussit le mieux. Si on s'emmerde on peut aller voir le Ballet de Chine à Garnier dans la Sylvia de Delibes en attendant une reprise de la version Neumeier; Terfel ayant annulé c'est Alastair Miles qui chantera Elias de Mendelssohn le 11 et malgrè Breslik et Vermillon ce sera donc sans moi. Pina Bausch présente deux programmes au Théâtre de la Ville, pour ceux qui n'en ont jamais vu, c'est l'occasion, pour les autres pas de panique elle passe tous les ans dans ce haut lieu parisien de la danse contemporaine. On peut aller écouter Ben Heppner dirigé par Bychkov le 16 ou le 18 à Bastille, j'y ai renoncé faute de temps, mais cela devrait être pas mal.
Dans la série rareté Alan Curtis deterre le Tolomeo de D.Scarlatti, gros doute sur les qualités du fils Scarlatti à l'opéra, mais la distribution est magnifique (Invernizzi, Ek, Hallenberg et Gens). Le 20 on fête Sainte Cécile avec Minko, Stutzman et Croft à Pleyel, immanquable, même si les duos handeliens par Mingardo, Piau et Alessandrini au TCE doivent valoir leur pesant de cacahuètes (fait chier les doublons!).
Mimi Delunsch dans la nouvelle création de Boesman, Yvonne, Princesse de Bourgogne à Garnier, mis en scène par Bondy qui sera certainement plus inspiré ici que pour son pauvre Idomeneo. L'Ercole de Vivaldi par Biondi avec sa distribution mirifique le 27 est quasiment plein (l'effet Phiphi), mais un best of Vivaldi avec de si bon chanteurs, ça vaut la peine que l'on se bouge le cul, d'autant qu'on ne les retrouvera pas au disque. Le 28, les 4 saisons de Vivaldi mais pas par n'importe qui: Dantone et son Accademia bizzantina, on n'a jamais fait mieux dans Vivaldi à l'exception de Marcon.
Courrez voir Lady Macbeth de Mentsk de Chostakovitch avec Westbroek dans son meilleur role dans la palpitante mise en scène de Kusej (la Carmen du Chatelêt c'était lui), sinon consolez vous avec le DVD des representations d'Amsterdam. Et enfin on termine ce délirant mois de janvier avec Fra Diavolo d'Auber dirigé par l'excellent Rhorer et avec la reine des coloratures aigus, Sumi Jo!


FEVRIER


Oups!


MARS

Bon je reprends du service avant les annonces de la saison à venir: vous avez loupé le concert Cencic/Sabata/Fasolis à Gaveau ("ah merde j'oublie toujours de regarder Gaveau!")? Pas grave ils ne faisaient que des extraits de Faramondo de Handel pour la sortie du disque, or ils donneront l'opéra entier en version de concert au TCE la saison prochaine. Vous avez loupé le Werther de l'ONP avec Graham, Villazon et Tézier? Pas grave non plus, il sera repris la saison prochaine avec une meilleure distribution puisqu'elle comprendra Sophie Koch et Jonas Kaufman dont le français est bien plus appréciable. Le 11 mars à la Villette Marc Minkowski donne Pulcinella  (si comme moi vous l'avez loupé par Antonacci qui assurait un remplacement il y a quelques jours) avec Miah Persson et Romina Basso, les baroqueux s'attaquent à Stravinsky ça devrait donner! Jonas Kaufman donne un récital d'airs romantiques au TCE le 17: à ne pas manquer! Tout comme le récital Mozart de Diana Damrau le 21 au TCE, accompagnée par Jérémie Rohrer, programme assez convenu mais vu l'art de la dame pour illuminer les airs les plus rabachés, j'en frétille d'avance. Si vous voulez aller voir de la danse, John Neumeier qui a déjà signé à Paris maintes productions dont une superbement intelligente Mort à Venise, donne la 9ème symphonie de Mahler à Bastille. Ne loupez pas non plus (oui je sais ça fait beaucoup de rouge!) le récital Vivaldi de Karina Gauvin à Gaveau : In furore, Laudate pueri et airs de la Griselda au programme, le 26 mars. Autour du Zoroastre de Rameau à l'OC par Pierre Audi (La Juive) et Christophe Rousset qui est déjà plein (le DVD est sorti pour vous consoler), vous pouvez aller entendre le concert d'Antonio Florio avec son équipe habituelle (Maria-Grazia Schiavo, Maria Ercollano...) qui donne un programme de raretés autour du thème Gioco e Follia, rien que pour l'orchestre et le programme ça vaut le coup. Ou alors le récital Jelyotte d'Anders Dahlin, ténor baroque formidable qui devrait faire mouche dans le repertoire de celui qui créa Platée de Rameau. Et si vous aimez les expériences théatrales fortes, l'Odéon donne le Soulier de Satin de Claudel par Olivier Py avec Jeanne Balibar, de 13h à minuit le dimanche et en deux parties en semaine.


AVRIL

Emmanuelle Haïm
donne La Resurezzione de Handel, superbe oratorio romain dans la même veine qu'Il trionfo, avec Sonia Prina qu'on ne présente plus, la très belle Kate Royal et Camilla Tilling que je n'ai jamais aimée, le 1er au TCE. C'est aussi en ce début de mois que Marc Minkowski proposera Les Fées de Wagner au public parisien, opéra de jeunesse que l'on dit très proche de ceux de Weber et Meyerbeer, distribution alléchante, c'est la rareté du mois à ne pas louper. Le 11 Pleyel vous offre l'occasion d'entendre un pianiste mythique Radu Lupu accompagné par Ivan Fischer avec un des cinq meilleurs orchestres symphoniques du monde, celui de Concertgebouw. Pour la danse en avril, c'est le Châtelet qui régale avec la Martha Graham Dance company qui propose trois programmes différents, à découvrir, notemment pour ceux qui comme moi sont trop jeunes pour avoir vu dansé Martha Graham.  Puis on pourra aller voir l'Onéguine de Cranko à Garnier, je ne connais pas du tout ce chorégraphe dont on me dit beaucoup de bien, et ce sera un prolongement idéal à l'opéra de Tchaikovsky donné en ce même lieu en début de saison. ET pour le fun, les Ballets du Trockadéro passent au Chatelêt à la fin du mois, pour ceux qui ne connaissent toujours pas, ce sont des hommes travestis en ballerines qui reprennent les grands tubes du ballet classique avec autant de dérision que de maitrise technique. Karita Mattila se fait rare à Paris, il faut donc se presser d'aller l'entendre au TCE le 21 accompagnée par Jiri Behlolavek (La Fiancée vendue à Garnier) dans un programme Strauss. Sauf si vous voulez découvrir Deborah Voigt, vous éviterez soigneusement Un Ballo in maschera à Bastille dans l'insipide vision de Gilbert Deflo. Et enfin on ne loupera surtout pas le spectacle d'Anna-Caterina Antonacci au TCE mis-en-scène par Juliette Deschamps, quelle que soit la qualité de la mise-en-scène, 1h30 d'Antonacci, ça ne se refuse pas!








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22 février 2009 7 22 /02 /février /2009 15:32
Allez, un petit article fourre-tout, parce que ça faisait longtemps, et parce que j'ai assisté à bien trop de concerts en ce début d'année pour avoir la témérité de rendre précisément compte de chacun. On ira se renseigner chez les copains si l'on veut en savoir plus.


Marc Minkowski, son orchestre et d'excellents chanteurs ont fêté Sainte Cécile, la patronne des musiciens, à la Salle Pleyel: interprêtation superlative, mais j'avais oublié à quel point les textes des odes de Purcell et Handel étaient mauvais, un vrai bordel cosmogonique matiné de spiritualisme pompeux, ce que la mélasse est à l'eau bénite. J'ai une nette préférence pour le Handel, l'ode de Purcell tombant trop dans le pieux respect, religiosité ennemie de la variété et de l'audace qui me séduisent tant dans ses oeuvres dramatiques. Par contre Handel compose une musique superbe qui fait totalement oublier l'inepsie du livret, on ne peut pas dire qu'il ait réussi à créer une continuité ou une cohérence particulière, mais pour une célébration de la patronne des musiciens, on aurait tort de se plaindre que la musique l'emporte clairement sur le drame du verbe. Cependant, dans ce copieux programme, c'est la Messe de Haydn qui m'a ravi: oui vous avez bien lu, une messe de Haydn! Moi qui ronfle devant Les Saisons et La Création, alors vous pensez, une messe! Mais celle-ci n'a rien de commun avec certains oratorios pompeux et lourds de Haydn, elle est bien plus proche de ses oeuvres seria ou du Ritorno di Tobia. Pour preuve le très bel air virtuose de la soprano ou surtout cet Incarnatus en apesanteur chanté par un Richard Croft époustouflant de simplicité dans la maitrise technique. Si la soprano Lucy Crowe est une jolie découverte, la voix est tout de même encore un peu raide et l'artiste appliquée; j'ai trouvé Anders Dahlin plus effacé qu'à l'habitude mais rien qui ne fasse honte à coté de son prestigieux collègue; je regrette que Nathalie Stutzman n'ait quasiment rien chanté (que ne lui a-t'on donné la partie d'alto du Purcell plutot que de la confier à une contre-ténor sorti du choeur?). Une sortie en disque est prévue.




Chostakovitch qui remplit l'opéra Bastille tous les soirs, je suis heureux que la politique de Mortier porte finalement ses fruits, cette production de Lady Macbeth de Mzentsk n'en méritait pas moins. Importée d'Amsterdam (sortie en DVD), elle n'en porte pas moins la marque de Gégé, puisque c'est lui qui à Salzbourg avait donné sa chance à Martin Kusej, qui avait déjà signé la Carmen assez réussie du Châtelet. Comme souvent avec lui, parti est ici pris de l'explicite, tout s'affiche, s'exhibe: par les costumes évidemment qui se limitent vite à des sous-vêtements, mais aussi dans la direction d'acteurs (le viol de la cuisiniière, le baiser de Katerina, les fantômes du mari remontant le long des murs, Katerina se pendant avec ses bas de laine...). Les décors sont diablement intelligents: depuis cette cage en plexiglas qui semble faite pour susciter la claustrophobie aussi bien que le voyeurisme jusqu'aux murs en caillebotis qui se perdent dans les cintres, on se souviendra aussi de la brutale entrée des policiers surgissant en crevant la table du banquet, ou bien sur de la prison métallique qui vient  unir le bagne et la marche qui y mène dans la même souffrance, la même humiliation. C'est aussi l'alternance brusque des décors dans la seconde partie du spectacle (à partir du poste de police) qui, contrastant avec l'unicité de la première partie, aide le drame à se précipiter après avoir été noué de façon lancinante dans la série d'évenements provoqués par  l'abandon de Katerina à la sensualité. Nombreux détails signifiants également: la collection de chaussures de Katerina qui s'amenuise, symbole de son éloignement de la vie bourgeoise et des compensations qu'elle y cherchait; les chiens dans le jardin lors de la première scène, chiens qui viendront surveiller les bagnards pour la dernière... L'équipe musicale est extraordinaire. Tous les superlatifs ont déjà été utilisés pour enceser Ewa-Maria Westbroek dans ce qui est pour le moment, son rôle le plus marquant; j'abonde. Elle fait corps avec cette production à tel point que l'on peine à l'imaginer sans elle: la scène la plus forte restera ce cri gigantesque où l'orchestre semble prendre le relai de sa voix ou trop faible pour traduire l'effroi devant la violente prise de conscience de l'echec de son destin, ou déjà éteinte par la trahison, première mort du personnage.




A Garnier se jouait Yvonne, princesse de Bourgogne, création de Philippe Boesmans d'après Gombrowicz mise-en-scène par Luc Bondy. Après une très belle et dérisoire invocation au soleil devant le rideau de scène face à une énorme projecteur placé dans une loge de face, la première scène fait craindre les pires dérives de l'opéra contemporain: musique hésitante, texte faussement éclairé sur la perte des repères dans le monde contemporain ("dilaatation de la personnalitéééééééé"). Mais si l'exposition est malaisée, le reste est de très bonne facture. La musique est belle, parfaitement accessible et sachant créer le malaise nécessaire sans tomber dans la facilité de la cacophonie ou de la dissonance répétée. Le livret est assez réussi, sorte de miroir de celui d'un autre opéra contemporain très réussi: Perelà, l'homme de fumée de Dusapin. Perela fascinait car il était pur esprit, Yvonne fascine car elle n'est que viande. Cette fascination reveille les angoisses de ceux qui la cotoient, son silence et les aberrations qu'il lui arrive d'eructer plus que de proferrer étant prise pour du laconisme aussi profond qu'un fragment d'Héraclite. La malheureuse Yvonne de prostituée passe donc princesse suite à un caprice du prince qui cherche ensuite à s'en débarasser, lassé ou gêné, on ne sait pas trop, ce qu'il fera en la faisant s'étouffer lors d'un banquet où l'on sert du poisson plein d'arrêtes. L'oeuvre est une pleine réussite, la mise-en-scène aussi: Luc Bondy est vraiment plus inspiré par l'univers contemporain (je n'avais pas du tout aimé son Idomeneo sur cette même scène), l'esthétique générale fait parfois penser à du Tim Burton, soulignant la mondanité très surfaite d'une cour dont le roi se ballade en marcel et jogging bling-bling. Musicalement tous les artistes sont excellents, et l'on esquisse un sourire devant l'angoisse de la reine jouée par Mireille Delunsch: que l'on découvre ses poèmes.

© Ruth Walz

Autre opéra contemporain, à l'Opéra Comique cette fois et sans Mimi pour lequel il a pourtant été écrit: Lady Sarashina de Peter Eötvös. L'oeuvre est courte (1h10) et se construit en tableaux descriptifs et narratifs, jamais dramatiques, reprenant les pages du carnet de voyage d'une japonaise du XIème siècle. La musique est un peu trop répétitive et recourt trop souvent à des expédients (les chanteurs susurrent, ralent, chantonnent ou parlent souvent devant des micros assez inesthétiques), mais sur cette durée et dans ce contexte contemplatif cela fonctionne assez bien; d'autant qu'on a eu la bonne idée de placer certains musiciens dans 3 points de la salle, renforcant le sentiment d'immergence dans cette oeuvre déjà favorisé par les dimensions de la salle. C'est surtout la superbe mise-en-scène/chorégraphie d'Ushio Amagatsu qui soutient l'attention par son élégance et sa retenue, loin de toute "japoniaiserie" complaisante. Les chanteurs sont tous très satisfaisants: j'ai beaucoup aimé Peter Bording, un peu moins Mary Plazas au timbre trop commun pour le rôle titre, on sent bien que cela a été écrit pour une voix étrange, qui accroche directement comme celle de Delunsch. Un bon spectacle néanmoins, qui vient rattraper la fausse création de la saison dernière.

© Bertrand Stofleth

Pendant ce temps là au Théâtre des Champs-Elysées, c'était Vivaldi à tous les étages. J'ai déjà parlé de l'Ercole sul Termodonte qui m'avait mis en rogne. Deux jours après l'Accademia Bizantina avec Stefano Montanari au violon et Ottavio Dantone à la direction/clavecin venaient remettre les pendules à l'heure vénitienne. Dans une salle à moitié vide, ils ont joué, entre autres, Les Quatre saisons avec une fraicheur incroyable et un enthousiasme de chaque instant, variant à l'infini, ornementant dans les moindres recoins une partition qui n'est malheureusement pas habituée à une tel luxe et à une telle prise au sérieux: prodigieux! Je recommande d'ailleurs chaudement au disque leur Estro Armonico qui surclasse de loin toutes les autres versions, même s'ils ont encore progressé depuis l'enregistrement qui sonne en comparaison un brin timide. Quelques jours plus tards, d'autres immenses vivaldiens prenaient le relais: le Venice baroque orchestra dirigés par Andrea Marcon avec Giualiano Carmignola et Viktoria Mullova pour des doubles concertos. Là par contre c'est la deception: les oeuvres ne sont vraiment pas du meilleur Vivaldi, c'est de la virtuosité très très creuse, avec une faible inspiration mélodique; par ailleurs les solistes ont seuls fait le show devant un orchestre en petite forme, ou simplement en manque de motivation devant des partitions qui le flattent peu. Le disque est déjà sorti, je suis curieux d'avoir votre avis si vous l'avez écouté.



Dans la série, je n'ai pas envie d'en dire du mal: Fra Diavolo à l'Opéra Comique. Certes la mise-en-scène de Jerôme Deschamps est indigente, l'orchestre de Jeremie Rohrer manque de patine (mais pas de fougue), Kenneth Tarver joue aussi bien les marquis qu'il joue mal les bandits, Sumi Jo a l'aigu plus dur qu'auparavant (mais toujours le même sourire), Antonio Figueroa est inaudible, Marc Molomot est un anglais aussi stylé qu'un paysan auvergnat, la présence théâtrale de Doris Lamprecht l'emporte presque définitivement sur la musicale, tout le monde n'est pas toujours compréhensible et l'oeuvre n'est franchement pas impérissable. Mais c'est séduisant sur l'instant, tous jouent la carte du suranné et cela vit à défaut de ravir. On s'étonne alors de voir Thomas Dolié et Thomas Morris jouer si brillament les utilités, ou d'entendre l'excellent français et la voix parfaitement projetée de Vincent Pavesi dans un second rôle: en voilà trois qu'il conviendrait de promouvoir lors de la prochaine production de ce répertoire.



Dans la série, on a pas assez répété mais la première nous servira de pré-générale: le Béatrice et Bénédict du Théâtre des Champs-Elysées. Tout ici respire l'impréparation d'ensemble: l'intention de mettre en espace les dialogues est pourtant louable mais si mal réglée que l'on se croirait en répétition (d'autant que c'est souvent très mal joué), tous les airs solistes sont parfaitement en place, mais à plusieurs on se regarde en coin au point que le chef est parfois obligé de se retourner brusquemment pour réaccorder les chanteurs. Je pardonne Charles Workman distribué assez tard qui n'a visiblement pas eu le loisir de travailler son français; Joyce Didonato est par contre excellente, dans une forme vocale rayonnante, au français incisif malgrè des inflexions américaines qu'elle peine à gommer. Jean-Philippe Lafont est fabuleux en chef d'orchestre bougon. Je découvrais ce soir Nathalie Manfrino et je n'ai pas du tout aimé la voix aigre et  l'actrice complaisante; même jugement pour Elodie Mechain, à la voix sourde et au jeu ampoulé. Leur duo que je connaissais grace à l'article de Bajazet fut totalement raté, le plus beau moment étant à la fin, lorsqu'elles se taisent et que l'orchestre conclue pendant que les lumières de la salle s'éteignent progressivement. La direction de Colin Davis, c'est bien ce qui aura sauvé cette soirée: malgrè sa fatigue physique évidente il a su tenir l'orchestre, et tant bien que mal les chanteurs, pour assurer la cohésion dramatique de la soirée. Il n'a par contre rien pu faire pour le choeur calamiteux...



Deux concerts symphoniques au firmament à Pleyel: le London Symphony Orchestra dirigé de façon ébouriffante par John-Elliott Gardiner dans l'ouverture Namensfeier, la 4ème et la 7ème symphonies de Beethoven. L'une me plait mollement, l'autre est ma préférée. Je n'ai pas été déçu. Cet orchestre est prodigieux de tenue et de virtuosité, et je n'avais pas entendu la 7ème dirigée avec autant de panache depuis la première version Karajan/Berliner: Gardiner réussit à presque à faire croire à un orchestre d'instruments anciens par le travail sur les vibrations des cordes et par la fougue qu'il leur imprime. Evidemment quand on lance la locomotive à une telle vitesse, c'est déjà un miracle qu'elle ne déraille pas, mais on freine forcément un peu brutalement (ouille! le final de l'allegretto!) et les virages, les balancements au dessus du gouffre du mouvement final ne sont pas assez chaloupés. Mais on s'en fout, l'ivresse est là, sans accident de la route ni indigestion.
Puis ce fut le Gewandhaus de Leipzig dirigé par Riccardo Chailly avec Lang Lang en soliste: première fois que j'entendais ce dernier dans des conditions franches (plutot qu'en jouant du Donizetti pour Bartoli quoi). J'ai été séduit par sa légereté, sa jovialité dans les miroitements de l'aigu, mais les passages plus graves m'ont semblés mécaniques, manquant de profondeur et de sincérité, comme si sa tristesse était feinte. Techniquement cela m'a semblé irréprochable. C'était surtout pour l'orchestre et son chef que j'étais venu: là encore eblouissement total; ils connaissent leur Mendelssohn sur le bout des doigts, nous gratifiant d'une Marche nuptiale en bis qui enfin redevenait plus fantastique que bourgeoise. La Symphonie écossaise m'a transporté.



Et je termine sur le récital de Nina Stemme, dont c'était la première apparition à Paris (!!). Lieders de Grieg, Sibelius, Rachmaninov et les Wesendonck de Wagner (en bis du Kurt Weill: Youkaili, Je ne t'aime pas). La voix remplit la salle de façon impressionnante sans jamais gueuler, le timbre est sublime. Je suis encore trop peu familier de cette artiste pour bien décrire sa voix mais j'ai été marqué par une chose: ce qui est le plus puissant dans cette voix c'est sa maitrise. La chanteuse aussi bien que l'actrice est animé d'un feu qui darde d'autant plus qu'il a la pleine maitrise de sa force, c'est assez dur à expliquer, mais un mot évoque bien cette voix sans la résumer évidemment: Plénitude. Et réjouissez-vous parisiens, car les notes de programme confirment qu'elle chantera Elisabeth dans Tannhäuser dans  une des saisons à venir de l'Opéra national de Paris.

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12 février 2009 4 12 /02 /février /2009 10:33
Reçu aujourd'hui les premieres formules de souscription pour le Théâtre des Champs-Elysées la saison prochaine; en vrac (en gras ce qui me semble particulièrement excitant):

Productions scéniques:

- Les 7 pêchés capitaux + Mahagonny Songspiel, Brecht/Weill; Rohrer, Kirschlager; Ju. Deschamps
- Cenerentola; Concerto Köln, Garanca, Siragusa, Degout, Spagnoli, d'Arcangelo; I.Brook
- Falstaff; Gatti, Antonacci, Lemieux, Brahim-djelloul, Fanale, Lapointe, Hulcup; Martone
- Calisto de Cavalli; Rousset, Karthaüser, Zazzo, Parodi, Gens, Chappuis, Auvity; Makeïeff
- Semele de Handel; Rousset, DeNiese, Croft, Genaux, Wallace, Azzaretti, Debono; McVicar

Concerts:

- Ezio de Handel; Cremonesi; Cangemi, Prina, Zazzo, Abete, Hammarström
- Berenice de Handel; Curtis; Ek, Spence, Fagioli, Priante, Nesi, Bohlin
- Athalia de Handel; Goodwin, Rial, Zazzo, Prina
- Andromaque de Grétry; Niquet; Wesseling, Christoyannis, Wanroij, Guèze
- Magnificat de Bach; AKAMUS Berlin + RIAS; Piau, Mijanovic, Güra
- Deutsches Requiem avec Joshua
- Récital Zazzo (on ne voit que lui cette saison!)
- Xerse de Cavalli; Corréas; Fouchécourt, Léger, d'Oustrac, Panzarella
- Didon et Enée; Stern; Hallenberg, Dolié, Touchais
- Wozzeck; Salonen; Keenlyside
- Tristan acte II; Harding; Meier
- Paulus de Mendelssohn; Masur; Ziesak, Stotijn, Lehtipuu, Goerne
- Goerne dans Die schöne Magdelone
- Récital Gens/ Hengelbrock, Haydn, Beethoven, Mozart
- Récital Bartoli, Giardino Armonico (probablement Hasse et Handel)
- Récital Genaux/Biondi dans Vivaldi
- Récital Jo & Siragusa, Donizetti, Rossini, Bellini, Verdi, Meyerbeer
- Récital Gruberova, Mozart, Bellini et Donizetti (j'irai rien que pour le fun!)
- Strauss par Staatskapelle Dresde; Luisi; Kühmeier, Schwanewilms, Fink

et aussi Hendricks, Uchida, Brüggen dans Mozart, Muti, Chailly, Jansons, Thielmann, Bychkov, Gatti, Ozawa...

Le plan de bataille pour la saison prochaine commence!
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28 janvier 2009 3 28 /01 /janvier /2009 00:07
Antonio Vivaldi
Ercole sul Termodonte
Rome 1723  




Carlo Vincenzo Allemano, Ercole
Vivica Genaux, Antiope
Roberta Invernizzi, Ippolita
Philippe Jaroussky, Alceste
Romina Basso,  Teseo
Filippo Adami, Telamone
Emanuela Galli, Orizia
Stefanie Iranyi, Martesia


Choeur d'adultes de Notre Dame de Paris
Europa Galante
Fabio Biondi, direction


Théâtre des Champs-Elysées
27 janvier 2009





Je sors absolument ecoeuré de ce concert, et faché, car quelques soient les faiblesses de cette oeuvre il y avait la possibilité avec une telle distribution de faire quelque chose de splendide et ce que l'on a entendu ce soir ne l'était pas du tout. Et à cet échec, un seul responsable: Fabio Biondi. Alors écartez les enfants, je suis remonté comme un coucou suisse!

Il est difficile de juger l'oeuvre car on ne sait pas trop à qui en accorder la paternité: la partition originale de cet Ercole, joué à Rome uniquement par des hommes en 1723, a été perdue, il ne reste que le livret. Alan Curtis et Alessandro Ciccolini en ont proposé à Spoleto (le zizi de Zachary, vous vous souvenez?) il y a quelques années une reconstitution dont on ne connait pas bien la teneur. En cherchant sur le net, les sources divergent, certains nous disent que tout est reconstitué, d'autre que, comme pour le Motezuma, on a finalement découvert les 3/4 de la partition et que seul le quart restant est laissé à la discretion du chef. Le fait est que la partition jouée ce soir est présentée comme la version reconstituée par Fabio Biondi... et qu'elle ressemble beaucoup à la version Curtis/Ciccolini. Si quelqu'un en sait plus, je suis preneur de toute information.
Quoiqu'il en soit, Fabio Biondi a beau faire le malin sur la production lyrique de Vivaldi ( "Ma position sur la Vivaldi Renaissance est extrêmement polémique. J'y vois une opération purement mercantile... Certes, il était injuste de continuer à ignorer sa production opératique, mais il faut bien reconnaître qu'à 70 %, elle est d'un niveau d'inspiration assez faible, n'apportant rien de neuf et courant en permanence le risque de paraître conventionnelle.[...] Franchement, quand vous écoutez certains opéras de Vivaldi au disque, vous trouvez cette musique tellement peu intéressante que vous n'avez qu'une envie : balancer le CD !" Opéra Magazine, juillet 2007, cité par operabaroque.com) ce Vivaldi là n'est franchement pas le meilleur. Si il se trouve qu'en plus la reconstitution est bien de lui, on se demande pourquoi il a retenu des airs qui relèvent presque tous du Vivaldi au kilométre. Par mauvais goût?

Commençons par le livret qui est assez cocasse et à défaut d'être bien construit, original. On nous raconte l'un des travaux d'Hercule confronté aux Amazones auxquelles il doit dérober la ceinture de la reine Antiope. La reine a deux soeurs, Ippolita et Orizia, et une fille, Martesia. De son coté Hercule est venu avec ses potes: le roi de Sparte, Alceste, d'Athènes, Thésée et d'Ithaque, Telamon. L'action se résume à la guerre que se livrent les deux camps, echanges de prisonniers, amours imprévues et rivales, tout le tintouin. Sauf que dans ce cadre et avec les travestissements, c'est assez marrant: c'est entre la lutte fratricide LGBT et le "Mort à ces salopes de goudous féministes!" Les caractères sont assez bien déssinés dans le livret: Hercule est le roi dans toute sa virilité, Thésée le guerrier sensible à l'amour, tout comme Alceste en plus niais, et Telamone le rival jaloux; chez les Amazones, Antiope et Orizia sont les guerrières invétérées, Ippolita l'amoureuse et Martesia la dinde qui ne connait pas le sens du mot "mariage" et qui prend au premier degré la demande d'Alceste consistant à échanger leur deux coeurs (!!). Rajoutez à cela une description géographique du champ de bataille pendant l'Acte I à la lourde portée métaphorique: les amazones sont dans leur cité fortifiée entourée d'une forêt touffue et les combats sont livrés sur le pont qui traverse le Termodon: caliente!
Par contre pour ce qui est de l'équilibre dramatique c'est la catastrophe: on ne compte plus les batailles, marches et fanfares (au moins les cornistes et le timbalier ne s'emmerdent pas!); les echanges de prisonniers sont interminables; au début de l'Acte II, Ippolita enchaine quasiment 3 airs à la suite dont l'un précédé d'un triste récitatif accompagné au théorbe dans le style madrigaliste alors que c'est le "Son due venti" de l'acte I de l'Orlando finto pazzo; à l'acte III Hercule arrive comme une fleur chanter son triomphe alors que dans le récitatif qui précédait Orizia a juste annoncé qu'elle allait se suicider, bref c'est n'importe quoi.

Et musicalement ce n'est pas beaucoup plus joyeux: si les récitatifs avaient le mérite de dessiner des caractères, ceux-ci perdent presque toute cohérence dans les airs qui leur échoient au hasard. J'aimerai bien savoir pourquoi Telamon, le rôle le moins important de l'oeuvre a pour seul air, un grand air guerrier! Les trois quarts des airs sont interchangeables et pourraient être chantés par n'importe lequel des personnages. Pour la nouveauté on repassera aussi, certes il y a environ la moitié des airs que je n'ai jamais entendu dans une autre oeuvre, mais je les ai presque déjà tous entendu dans plusieurs. Un peu comme l'air de triomphe de Scanderberg dans le récital Arie ritrovate chez Naïve, beaucoup d'airs sont du simple patchwork vivaldien, donc entre le réchauffé et le ressassé, on peut difficilement crier au génie! Mais après tout, avec de tels chanteurs, on pouvait très bien faire un excellent best of amélioré des oeuvres de Vivaldi, mais c'était sans compter la direction de Fabio Biondi.




Il y a un mot pour résumer cette direction: pornographique! Comme dans un film porno, il y a toujours de l'action, on ne s'ennuie pas, mais pour la délicatesse on repassera. Quand ils jouent, les vents sont constemment couverts, tout comme les chanteurs qui ont le gros défaut de ne pas actionner leur cordes vocales avec un archet comme tout le monde. Et quelle est l'utilité d'un théorbe si fin et délicat, si il est constemment couvert par un clavecin métallique à l'incontinence de notes insupportable?
Mais l'obscénité de cette direction ne s'arrête pas là: tous les airs sont joués bien trop forts et surtout à un rythme constemment trop rapide, avec des constrastes cassants, des figures casse-gueule, un manque de perspective et surtout de respiration constant. De l'air! Bref c'est du Spinosi qui aurait fait trop de gonflette. Cette direction c'est le triomphe du court-termisme. Pour enfoncer le clou, on rajoutera que faire des longs silences entre la fin du récitatif et le début de l'air, le temps que tout le monde il soit bien prêt, est particulièrement préjudiciable à la continuité de l'oeuvre (vous savez comme quand votre ordi ou votre ipod vous rajoute deux secondes de pause entre chaque pistes d'un cd!). Et pour l'équilibre musical, enchainer des airs uniformément rapides, rien de pire pour ruiner leur puissance. Surtout quand cette rapidité est aussi pesante: je ne savais pas qu'Hercule et ses amis chargeaient sur des chevaux de trait...



Dans ce bain de cordes déchainées, les chanteurs sont clairement en dessous de leurs capacités habituelles puisqu'on ne leur laisse jamais le temps de respirer. Et quand un chanteur ne peut pas respirer, sa projection est sacrifiée et son soutien part en éclat. Je plains Vivica Genaux qui ne peut rien faire d'autre que courir après l'orchestre dans "Andero! Volero! Gridero!", ou Roberta Invernizzi qui bacle son canto di sbalzo dans le "Son due venti" pris à une vitesse et avec un brutalité obscènes. Pauvre Filippo Adami aussi, constemment couvert par l'orchestre dans son seul air où on ne lui laisse pas le loisir de pousser un peu sa voix, ou encore Romina Basso, obligée d'enchainer les croches comme une dactylo les touches de son clavier; et Philippe Jaroussky qui abandonne toute vélléité d'aller chercher dans le grave à ce tempo qui lui laisse à peine le temps de sortir des aigus. Il n'y a que dans les airs plus calmes ou dans lesquels l'orchestre joue en écho avec la voix que les chanteurs peuvent enfin faire preuve de leur excellence: le "Zeffireti che sussurate" par exemple. Mais comment peut-on jouer avec aussi peu de pudeur "Amato ben tu sei la mia speranza" (tiré de La Verita in cimento): c'est bien simple, Biondi se prend pour Paganini tandis que la contrebasse se croit dans un club de jazz. N'oublions pas non plus  pour le premier air de Martesia la viole d'amour totalement fausse, que Biondi tente de réaccorder pendant l'air (!)
Bref: grossier. Et c'est d'autant plus inacceptable que le spectacle a été donné en 2007 à Venise et qu'il arrive d'une tournée à Cracovie et Vienne.
Pourtant je suis plutot friand de direction couillues ayant horreur du baroque joué "à l'anglaise", sur la pointe des pieds. Je tremble pour l'enregistrement chez Virgin. Vivement l'Accademia Bizzantina et le Venice Baroque Orchestra cette semaine pour se rincer les oreilles!




Il est difficile de juger les chanteurs, puisqu'ils sont sans arrêt bousculés quand ce n'est pas largué, en tout cas ils sont tous très bons dans les récitatifs. Carlo Vincenzo Allemano est le seul qui sache tirer parti de tant de brutalité et adopte en permanence un chant di sforza qui ruine son dernier et très bel air. Vivica Genaux n'est que l'ombre d'elle même, sauf dans l'air "planant" du début de l'acte II, quand on songe à ce qu'elle faisait dans L'Aténaïde, c'est désespérant. Roberta Invernizzi a heureusement deux très beaux airs lents dans lesquels elle s'épanouit magnifiquement, dans les trois autres on entend qu'un grave maigre d'où emmergent parfois de superbes aigus. La voix de Philippe Jaroussky m'a semblé plus maigre et avare de couleurs qu'à l'habitude. Romina Basso est superbe, son timbre profond et chaud convient parfaitement à ce guerrier tiraillé entre la gloire belliqueuse et l'amour soudain qu'il éprouve pour Ippolita, à l'exception de son grand air à la fin du II, elle n'est pas trop gênée par l'orchestre. Stefanie Iranyi est très irrégulière: on ne comprend pas un traitre mot de son premier air et ses vocalises sont pateuses; le deuxième air est syllabique et donc lui facilite la tache, d'autant qu'elle chante a capella en alternance avec le violon (et là encore court-termisme, on croit que l'air est terminé à peu près toutes les 10 secondes), dans le dernier on ne l'entend que par intermittence. Emanuela Galli chante clairement au dessus de ses moyens, l'aigu sonne dur, mais l'agréssivité du medium et le tempérament conviennent bien au personnage (on parle de Diana Damrau pour le disque). Enfin Filippo Adami n'a que des récitatifs dans lesquels il frise souvent la dégoulinade de ténors mais s'en sort très bien, il est inaudible dans son seul air à cause d'un orchestre qui l'oublie totalement.




Salle archi-comble; triomphe final, de la part d'un public qui applaudit après chaque air, même les ariettes sans intérêt (!), on peut légitimement penser qu'il était conquis d'avance. Fabio Biondi ferait mieux de se limiter au repertoire purement instrumental avec des incursions dans le sacré (je recommande chaudement sa Santissima trinita de Scarlatti et son disque de cantates de Vivaldi avec Patrizia Ciofi).

NB: un contre-ténor s'est glissé dans le choeur des amazones soprano! Mais jusqu'où iront-ils?!
NB2: où est passée Xena?


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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 23:01

D.Scarlatti

Tolomeo ed Alessandro
(1711)



Ann Hallenberg, Tolomeo
Véronique Gens, Alessandro
Klara Ek, Seleuce
Roberta Invernizzi, Elisa
Theodora Baka, Araspe
Tuva Semmingsen, Dorisbe


Il Complesso Barocco

Alan Curtis, direction


Théâtre des Champs-Elysées

17 janvier 2009





Je n'ai jamais été convaincu par Domenico Scarlatti en tant que compositeur d'opéra: pour peu que pouvait m'en laisser juger un Tetide in Sciro polonais et l'Ottavia dirigée par Florio l'été dernier, à force de vouloir sonner archaïque, sa musique sonne simplement ordinaire. J'attendais donc ce soir là d'une si belle distribution la preuve du contraire, si mon jugement a un peu évolué, il reste le même sur le fond: papa a fait bien mieux! Domenico Scarlatti brille surtout dans le repertoire chambriste (les célèbres sonates ou les cantates avec un accompagnement très réduit), il n'est pourtant pas mauvais orchestrateur (l'ouverture est d'ailleurs assez prometteuse), mais il ne sait pas mener de front la voix et un grand nombre d'instruments, d'où sa quête de l'archaïsme à mon sens: si les récitatifs sont assez réussis, les airs tombent très vite dans le générique, c'est toujours agréable mais cette séduction s'évanouit très vite, on ne retient aucun air ni ne se trouve transporté sur l'instant.


Il faut dire que le livret n'aide pas: j'avais déjà oublié à quel point il était raté, mais pour la version Handel (présentée la saison dernière au TCE déjà par Curtis) il avait été remanié et orienté vers un charme plus délibérément pastoral, l'action étant clairement reléguée au rang du prétexte, le spectateur de l'époque connaissant de toute façon la trame stéréotypée par habitude. Et Handel avait su prendre son parti de ce remaniement en composant une partition délicieuse mais sans grande inspiration dramatique qui dépassat le cadre de l'air. Or Scarlatti est bien obligé de composer avec un livret qui est le miroir métaphorique de la Cour qui lui a commandé l'opéra. Il est donc coincé avec cette action alambiquée, ces personnages qui se déguisent mais dont on apprend le nom qu'au deuxième acte, ces récitatifs qui retournent tout le drame en trois lignes, ce déséquilibre constant dans la structure (à coté de l'omniprésence du couple vedette, l'Acte I semble trusté par Araspe et Dorisbe, qui disparaissent presqu'entièrement au III, lequel semble n'appartenir qu'à Elisa dont on ne découvre vraiment le caractère qu'à la fin du II!), ces airs qui arrivent sans être vraiment justifiés... Cela dit il se peut aussi qu'Alan Curtis ait ce soir opéré certaines coupes dans le livret (je m'étonne qu'Elisa n'ait chanté qu'un air avant l'entracte, pour en chanter trois ensuite). Et pour un compositeur qui excelle dans les pièces courtes, un opéra entier sur un livret bancal, c'est l'echec assuré. D'ailleurs je me demande même s'il n'a pas un peu baclé le travail par moment: si les airs d'Elisa sont les plus réussis, ceux de Tolomeo sont vraiment communs voir à coté de la plaque ("Cielo injusto potrei fulminar mi" particulièrement aphasique, ou "Stille amare" boueux), il y a parfois de très bonnes idées mais insuffisemment exploitées. Bref je ne me peux m'empêcher de penser que ce soir, ce sont les interprêtes qui ont tiré l'oeuvre vers le haut.



Tout d'abord Il Complesso barocco et Alan Curtis que l'on a rarement connu aussi bon en concert: après le Tolomeo de Handel vraiment médiocre par rapport au disque (lequel était déjà articulé avec des bonheurs différents), D. Scarlatti leur semble plus propice, il faut dire que cette orchestration plus évidente, au charme moins implicite que celle de Handel leur convient mieux (tout comme dans Gluck ou Vivaldi). Et puis là encore l'effectif est assez réduit, faisant la part belle aux cordes: on perd en poids et en couleur à sacrifier ainsi les vents mais au moins cela sonne propre et ensemble.


Klara Ek fut éblouissante: voilà une voix dont la propension naturelle est de fuser vers l'aigu, cela semble être son refuge naturel, du coup cette chute dans l'aigu renverse la perspective, rendant captivant tout ce qu'elle chante. Par ailleurs cela implique un effort permanent pour se maintenir dans le medium et "monter" dans le grave, effort qu'elle sait parfaitement transformer en  trémulation, esthétisation d'une souffrance plus ou moins révélée, conférant à son chant une tension inédite. Comme elle est en plus une technicienne formidable (ah ces trilles battus très sérrés!) et une actrice touchante au port noble, on est sous le charme.



En Tolomeo Ann Hallenberg déçoit: fatigue? surcharge de rôles nouveaux en très peu de temps? manque d'inspiration par rapport à la partition handelienne? le fait est qu'elle s'est planté deux fois dans son seul air de fureur ("Tiranno miei pensieri") en passant des mesures sous silence. Les récitatifs sont toujours superbement dits, mais oserai-je dire qu'ils étaient un peu en pilote automatique, certes un pilote automatique de luxe particulièrement performant, mais guère émouvant. Pas grave, quitte à rater une de ses prises de role ces derniers mois, je suis bien content que ce soit au prix de ce Tolomeo qu'elle fut aussi exceptionnelle en Fulvia ou en Orasia.


Véronique Gens venue remplacer Raffaela Milanesi en Alessandro une semaine avant le spectacle est assez convaincante: l'italien est agréable, la voix un peu moirée passe toujours aussi bien, et je ne l'avais jamais vu si emportée dans les récitatifs, restent des vocalises un peu trop machonnée et prudente, mais le rôle n'en souffre pas.

 


En méchante Elisa, Roberta Invernizzi est prodigieuse, la voix gagne en ampleur avec les ans, sans pour autant que les aigus soient moins précis, et il faut voir avec quelle fourberie amusée elle campe le personnage jusqu'à ce que sa machination lui éclate au visage lors de l'empoisonnement de Tolomeo. On regrettera juste qu'elle n'ait que quatre airs à chanter!




La baraka ne fut pas avec Theodora Baka ce soir (oui, oh, hein!): déclarée grippée il est difficile de la juger, elle a commencé le concert avec les cordes vocales calcinées, rendant assez sensible l'idée que l'on peut se faire de la voix d'un raison sec, pour ensuite sonner plus correctement. Mais cela ne fut pas indigne pour autant, et non malade cela aurait pu être plus qu'honnête, notemment grace à une verve théâtrale certaine.


Second remplacement, Tuva Semmingsen venue chanter Dorisbe à la place de Sonia Prina. Bonne surprise et surtout parentée étonnante avec la grande Sonia: dans l'intonation surtout, car la voix est  un peu plus ample et lumineuse, on retrouve le même élan dramatique, même si sa personnalité peine encore à s'affirmer hors de la rage, et c'est alors parfois dans un goût franchement excessif et mauvais (par exemple ce "ch'io son gli stessa" de poissonnière qui fait d'ailleurs rire la salle). En tout cas l'italien est superbe et la chanteuse attachante, à suivre.


Un disque est prévu, à guetter donc avant tout pour Klara Ek et Roberta Invernizzi qui sont les seules à sortir cette musique du simplement agréable, à moins qu'Ann Hallenberg ne se joigne in extremis à elles.


Et pour finir voilà une vidéo de Klara Ek dans un air de Haydn.




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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 18:00
Récital, Opéra de Lyon, dimanche 18 janvier 2009.

Anna Caterina ANTONACCI
Donald Sulzen, piano



© Pascal Victor

*************************
Programme : « Diva Belle Epoque »

 

Gabriel Fauré (1845-1924)

Cinq mélodies de Venise

Mandoline

En sourdine

Green

A Clymène

C'est l'extase langoureuse


 

Reynaldo Hahn (1874-1947)

Tyndaris

Phyllis

Fumée

L’énamourée

Le printemps

 

Alfred Bachelet (1864-1944)

Chère nuit

 

Entracte

 

Richard Strauss (1864-1949)

Einerlei

Morgen

Zueignung

 

Paolo Tosti (1846-1916)

My memories

Love me !

Summer

Once more !

Love’s Way

Pietro Cimara (1887-1967)
Scherzo Ballade

 

Arturo Toscanini (1867-1957)

Nevrosi

 

Ottorino Respighi (1879-1936)

Nebbie

 

Pieradolfo Tirendelli (1858-1937)

Amor, Amor !

 

Riccardo Zandonai (1883-1944)

« Paolo, date mi pace ! » extrait de Francesca da Rimini

 

 

Rappels :
(Ravel, peut-être ?) : Ahi ! (ce n’est certainement pas le titre ! ^^)
Poulenc :
Les chemins de l’amour
?: Sto crescenno (Lu Cardillo)



 

 

*************************

 

Impressions lyonnaises et rémanence antonaccique.

 

 

C’étaient Berlioz et Viardot, initialement prévus dans le programme, qui avaient d’abord retenu mon attention, mais ce n’était alors qu’une ébauche de récital et cela semblait bien vague encore ; quand ce le fut moins, ces deux-là avaient disparu et un programme « Belle Epoque » était clairement annoncé. Je connais particulièrement mal cette période ; j’imagine a priori une voix un peu haut perchée, une élégance dite parisienne, un petit air léger et désabusé tout à la fois, un petit rire de gorge pour effacer une larme naissante, une gorgée d’une chose couleur de paille avec des bulles dedans pour se griser un peu, le tout noyé dans une attitude teintée de mondanité. Cela ne correspond pas vraiment à la première image qui me vient à l’esprit au nom d’Anna Caterina Antonacci, que d’ailleurs je n’avais vue jusque-là que dans des productions scéniques ; ce récital était donc une première (et à vraiment plus d’un titre puisque c’était aussi, apparemment, son premier récital en France) dont j’étais particulièrement curieuse.

 

 

Quand l’esquisse d’un sourire est devenue une habitude, pour ne pas dire une obligation d’usage (que ma petite mondaine d’imagination n’oublierait jamais !), y a-t-il beaucoup de chanteuses qui se permettent une telle entrée en scène ? Morgue ? Défi ? Naturel ? Carapace ? Au fond, je ne sais ; mais j’ai repensé à Stendhal et ce qu’il notait des Romaines : « Une Romaine regarde la figure de l’homme qui lui parle comme le matin, à la campagne, vous regardez une montagne. Elle se croirait extrêmement sotte de montrer des dispositions à sourire avant qu’on ne lui dise quelque chose qui mérite qu’elle rie. » (Promenades dans Rome, 12 déc. 1828) Oui, un sourire, cela se mérite, il ne suffit pas d’être là pour y avoir droit. Il ne viendra donc qu’en son temps ou ne viendra pas ; mais si par bonheur il s’impose, il en sera d’autant plus remarquable et chaud qu’il semblera franc, signifiant et flatteur aussi, au bout du compte. Et puis Antonacci n’est pas Romaine, il semble y avoir en elle quelque chose du sud, une terre plus rude, une difficulté à y vivre, une beauté finalement inconfortable. Je contrarierai Stendhal : ces traits-là ne sont certes pas immobiles !

L’entrée donc, dans une robe noire qui enroule le corps dans deux pans liés par un cordon noué sur la hanche, dessous une mousseline noire laisse transparaître les bras, du poignet jusqu’au coude une partie des manches porte de la broderie noire, le col est en arrondi. Dessus, un collier de grosses perles arrive au niveau de cette croix grecque, perlée elle aussi, qu’elle semble porter souvent. Pendant que je suis dans les bijoux, notons aussi une grosse bague à l’annulaire de la main droite. La robe est longue, mais n’arrive pas jusqu’au sol, elle laisse voir des chaussures à semelle de peut-être deux centimètres d’épaisseur et des talons qui semblent en faire douze, avec une large bride à la cheville. Sur une vingtaine de centimètres, le bas de la robe est doublé à l’intérieur d’une bande chamarrée, dans les jaunes et les oranges, qui ne manque pas d’attirer le regard lorsque la robe s’entrouvre pour suivre la démarche. Les cheveux sont lâchés sur les épaules, mais retenus sur les côtés par deux mèches qui se rejoignent à l’arrière.

 

Diseuse, elle l’est, incroyablement. Ne revenons pas sur ce français qu’elle fait glisser, couler, sans que jamais l’oreille ne soit arrêtée par une syllabe étrange ou étrangère, mais je suis tout de même toujours frappée par la justesse de l’intention, parce que si tout glisse, c’est sans fadeur, elle sait trouver un relief dans le texte, ces petites aspérités trop souvent gommées et qui pourtant donnent de l’intérêt à ce qui, avec une autre, passerait trop gentiment, tellement qu’on ne le remarquerait même pas ; il ne s’agit pas d’insister, mais de dire bien et par là d’emmener celui qui écoute et qui regarde là où il ne savait pas qu’il y avait un chemin. Elle n’était pourtant pas complètement à l’aise au début de ce récital, la voix n’était pas encore tout à fait là, à un moment, elle a même démarré plus tôt qu’elle ne le devait, mais peu à peu la voix et le geste ont pris de l’assurance et se sont imposés toujours davantage. D’ailleurs lors des mélodies de Fauré, elle a eu très peu de gestes et presque aucun mouvement du corps. Pour celles de Hahn, son maintien était déjà plus souple, et puis un pas ici, deux là. Cependant l’expression était souvent simplement portée par la position de la main : un doigt plié, un autre qui se tend, tous qui reprennent la même position. Cette main claire et longue sur le noir de la robe ou du piano retenait incroyablement l’attention. C’était la gauche qui parlait évidemment toujours en premier ; la main nue. C’est elle qui exprimait le plus. Lorsque l’autre venait la soutenir, c’était que la tension montait, que le drame se jouait et la voix s’enflait, puis elles se quittaient, c’était fini, l’histoire était racontée. Parce qu’ici il ne s’agissait pas d’incarner un personnage, mais bien de raconter de petits moments, de petites empreintes de vie, une atmosphère, un souvenir, une fumée (superbe !).

 

Le premier lied de la seconde partie ne m’a pas transportée d’enthousiasme, je dois l’avouer ; Antonacci en allemand, c’est de prime abord tout de même surprenant et je n’ai guère accroché. Mais il allait se passer quelque chose d’inattendu : lors du deuxième lied, alors qu’Antonacci commençait à chanter, une petite silhouette qui semblait frêle et un peu voûtée s’est levée en laissant claquer son siège, a enfilé son manteau et est sortie de la salle en prenant bien son temps et en semblant comme taper du pied à chaque pas qu’elle faisait ; voilà une petite vieille qui sait se faire haïr ! Je ne pourrais pas dire qui, de la salle ou de la chanteuse, a réagi en premier. Toujours est-il que la salle n’a pas tardé à manifester sa désapprobation face à ce qui venait de se passer et de la plus belle manière qui soit : par la qualité de son silence. Jusque-là le Lyonnais m’avait semblé particulièrement tousseur, voire bavard ; là, tout à coup, le silence, le vrai, celui qui laisse résonner la voix, qui lui laisse prendre le pouvoir, capter chaque regard, taire chaque respiration, ce silence dans lequel chacun s’efface, disparaît pour se fondre dans l’air qui vibre au son d’une voix, d’une seule, celle qui claque, qui sonne, qui se donne aussi. Parce que quelque chose avait changé aussi dans l’attitude d’Antonacci et curieusement son allemand était plus net, plus franc. Est-ce la qualité d’écoute qui a galvanisé la chanteuse ou elle qui a su faire taire et captiver la salle ? L’important est que nous nous soyons retrouvés dans ce silence-là à point nommé. Et son Zueignung fut magnifique ! (rien à voir avec celui de 1995 à Milan que certains pourraient connaître) Bilan des courses : explosion d’applaudissements et satisfaction manifeste de la chanteuse. Voilà ! Il venait là, le sourire !

 

Après cela, Antonacci a semblé comme soulagée, libérée aussi. Les mélodies de Tosti en anglais ont bénéficié d’une expressivité plus tangible, par la voix plus assurée, mais aussi par les mouvements en scène qui osaient davantage. Elle semblait vraiment plus à l’aise, même si elle avait besoin de jeter de temps en temps un œil sur les partitions, on gagnait en force de jeu, d’une certaine manière l’interprétation devenait plus physique (Once more !…m’a fait forte impression ^^).

 

Pour la dernière partie du récital, une autre langue encore. La sienne.

Tout est dit, non ? A l’aise, en voix, sur ses terres… que pouvait-il se passer ? La diseuse est devenue véritable conteuse, jouant avec tout, avec nous. Elle a raconté « Una notte » ; elle s’est enflammée sur Nevrosi (houlala ! ce « Vorrei baciarti il crine » !) ; Médée a profité des Nebbie pour la traverser l’espace d’un instant (la nuque qui se raidit, la tête qui s’incline très légèrement et le regard qui part sur le côté et bien au-delà de ce qu’il peut voir) ; Amor, amor ! pour tout expliquer, mais il est mort, l’amour du coeur ; et puis, cet air d’opéra pour finir, d’opéra, je ne sais pas pourquoi, mais pour finir, oui, car ce n’est certainement pas un hasard si le dernier mot en est pace et ce n’est pas la première fois qu’Antonacci termine ainsi, Era la notte se finissait aussi sur ce mot-là...

 

 

Le programme était terminé, mais les applaudissements nourris, les pieds frappeurs, alors nous avons eu droit à trois airs pour les rappels. Le premier aux couleurs hispaniques, véhément et très enlevé, fut allumeur d’enthousiasme, mais un peu frustrant par sa brièveté.

Alors vinrent Les chemins de l’amour. Le public tout frémissant en reconnaissant un air qui lui évoquait peut-être sa grand-mère ou son arrière-grand-tante, oublia certainement bien vite les références familiales des fins de journée guillerettes et des voix de tête chevrotantes. Ces chemins-là, dimanche, ne s’entonnaient pas en chœur, ils étaient bien trop charnels pour ça, troublants et touchants tout à la fois… Lu cardillo est en dialecte dont on ne comprend pas tout, mais elle s’est approchée un peu plus près pour nous faire sentir qu’il y avait là-dedans un peu de confidence, un peu de folie, un peu de menace et des promesses aussi… Mais pour cette fois, c’était fini.

 

Au fait, comment regardez-vous les montagnes, vous ?

Il est bien possible que j’en aie vu une dimanche, que je l’aie appelée « Madame » et que je lui aie souri souvent.

;-)

 

C.

 


 

[Les textes et les notes de programme concernant notamment la musique et son contexte sont disponibles ici ]




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26 janvier 2009 1 26 /01 /janvier /2009 17:50

G.P. Telemann
Orpheus

(1726)




Dietrich Henschel Orpheus
Daphné Touchais Eurydice
Rainer Trost Eurimedes
Ann Hallenberg Orasia
Marc Labonnette Pluto
Camille Poul Ismène
Clémentine Margaine Ascalax
Caroline Meng Cephisa
Luanda Siqueira Die Priesterin
Aurélia Marchais Suivante d'Orasia
Dorothée Leclair Suivante d'Orasia

Opera Fuoco

David Stern  direction musicale
Jay Bernfeld  co-direction artistique, viol de gambe



J'aime de plus en plus Telemann. J'y ai mis du temps mais le déclic est finalement venu à l'écoute de la retransmission radio de La Patience de Socrate donné à la Villette: froideur de la salle? mauvais placement? frigidité du public berlinois ce soir là? routine de l'orchestre devant si peu d'enthousiasme? ineptie du livret? le spectacle berlinois m'avait ennuyé, mais cette retransmission radio me comble par ses qualités musicales. J'ai dépuis réussi à apprécier sa musique instrumentale (l'Akademie für Alte Musik Berlin l'a souvent enregistré pour Harmonia Mundi), mais je n'y retrouve que par touche l'invention débridée de ses opéras hambourgeois.
Car c'est aussi le genre qui me charme: encore peu connu, ce genre melant comique et tragique, inspiration française, italienne et allemande jusqu'à en mélanger les langues dans des livrets cosmopolites est absolument passionnant. Or si ce n'est par les disques de René Jacobs (qui a enregistré cet Orpheus et le Kroesus de Kaiser) ou quelques enregistrements de faible qualité, ce repertoire reste très négligé alors même qu'il est indispensable pour comprendre le génie syncrétique de Handel qui composa ses deux premiers opéras pour Hambourg (Almira, dont est tiré le célèbre air qui deviendra "Lascia ch'io pianga" dans Rinaldo; Nerone malheureusement perdu). On peut cependant trouver de nombreuses retransmissions radio d'opéras de Kaiser dont certaines finissent par être publiées (vient de sortir une Fredegunda chez Naxos). Enfin, must have, Sandrine Piau a récemment donné à Vienne un récital fabuleux exclusivement consacré à l'opéra hambourgeois avec des airs de Kaiser, Handel, Schürmann et evidemment Telemann, esperons qu'une tournée, si ce n'est un disque, est prévu.




Pour en revenir à Telemann, et sa production lyrique qui compte un nombre d'oeuvre qui a du dépasser la centaine et dont neuf seulement nous sont parvenues: cet Orpheus jouit d'un livret bien meilleur que celui de La Patience de Socrate, ici l'humour, l'inventivité délirante et la fantaisie ne déséquilibrent pas le drame: l'Acte I est celui de l'exposition et de la mort d'Eurydice, l'acte II la descente aux Enfers et l'Acte III celui de la mort d'Orphée et de la fureur d'Orasia. Car le livret innove par rapport au mythe: point d'Aristée trompeur ici, mais une reine magicienne ivre de jalousie et de vengeance, Orasia qui fait contrepoint à la diaphane Eurydice et victimise d'avantage Orphée qui devient le jouet d'une jalouse machination.
La musique est passionnante, pleine de brillants contrastes, se nourissant à toutes les cours d'Europe: fureur, lamenti et ariosi italiens de l'opera seria, choeurs à la française (avec même une citation de Quinault dans le choeur final des suivantes d'Orasia: "Esprits de haine et de rage! Démons! Obéissez-nous! Livrez à notre courroux l'ennemi qui nous outrage!") et dialogues à l'allemande, terreau du futur Singspiel. Changer ainsi de langue permet à Telemann de jouer sur la prosodie avec un bonheur constant, tout en échappant toujours au schématisme (par exemple certains choeurs sont chantés en allemand): cet Orpheus est une surprise renouvellée à chaque coin de portée.



Avec une version de référence discographique aussi parfaite que celle de René Jacobs, David Stern et son Opera Fuoco n'arrivaient pas en terra incognita, et n'ayant pas du tout gouté leur Semele de Handel ou leur Jour du jugement dernier de Telemann, j'avais quelques craintes (quelqu'un a-t-il entendu leur Jephta d'ailleurs? sorti au disque il y a peu et prévu au TCE dans quelques mois).

D'autant que distribuer Ann Hallenberg en Orasia ne va pas de soi du tout: au disque c'était Dorothea Röschmann et Sandrine Piau a chanté un de ses airs (non diffusé à la radio malheureusement) dans son récital viennois. Or voir les mezzo coloratures jouer les contraltos un peu trop souvent me gêne déjà, alors quand elles jouent les soprano, je boue et m'insurge. Mais je suis victime de mon propre schématisme pour classifier les tessitures: cette Orasia n'est pas un soprano colorature comme peut le laisser croire une partition hérissée de vocalises suraigues, mais bien un soprano grave qui sait s'aventurer dans l'aigu sur le modèle de la Strada del Po pour laquelle Handel composa souvent; et si Magdalena Kozena peut être une si belle Cleopatre, pourquoi Ann Hallenberg ne serait-elle pas une superbe Orasia?
Même si je connais les merveilles de son registre aigu, je reste stupéfait par sa performance: d'autant qu'elle avait semblé renoncer aux rôles trop haut pour sa voix en abandonnant la Fida Ninfa de Vivaldi, mais sans doute la fureur d'Orasia l'aura inspirée et séduite. Une chose est claire: même si les aigus sont là, ils ne sont pas toujours justes ni très stables, mais tel est le charme des montagnes russes: ça secoue! Et l'entendre parcourir avec une telle agilité une tessiture meurtrière fut grisant: on pourra toujours reprocher à certaines vocalises aigues d'être survolées, ou à certaines fins de phrases de sonner sourd, je le lui pardonne mille fois, c'est le prix à payer pour des tempi si rapides et casse-gueules. Ann Hallenberg a prouvé ce soir qu'elle aimait l'aventure, et cela fut payant! A coté on retrouve ses qualités habituelles mais qui n'ont rien d'ordinaire: prononciation exhaustive (et ce dans toutes les langues), engagement dramatique flamboyant qui, en un froncement de sourcil, fait oublier la version de concert et une aisance musicale qui ne cesse de m'etonner quand on voit le nombre de nouveaux rôles qu'elle aborde chaque saison.: comme si elle connaissait et jouait cette partition depuis longtemps.



A ses cotés, Dietrisch Henschel fait malheureusement pale figure: accent français à couper au couteau, timbre grisonnant, vocalises essouflées voire aboyées, ne reste qu'une projection consistante et un engagement dramatique qui, même s'il est sommaire, a le mérite d'exister. On a du mal à croire que cette voix là a pu séduire les bêtes féroces et les Enfers.

Daphné Touchais est par contre une Eurydice très bien chantante, un brin appliquée et froide (sa mort peine à émouvoir) mais qui réussit à donner à son court rôle le rayonnement nécessaire pour justifier l'amour conjugal d'Orphée, en contraste avec la passion déstructrice d'Orasia pour ce dernier.

Passés ces trois protagonistes (et encore Eurydice mérite à peine ce titre), tout n'est que second rôle, toujours très bien tenus: on aura remarqué le troublant Ascalax de Clémentine Margaine et la Cephisa un peu trop métallique de Caroline Meng. Le Pluto de Marc Labonnette a pour seul défaut de sembler un peu trop sympathique avant qu'Orphée ne chante. Et l'on retrouve Luanda Siqueira qui confirme le bien que j'avais pensé d'elle dans Cadmus et Hermione, j'aimerai vraiment l'entendre dans un rôle moins anecdotique.

Pour ce qui est de l'orchestre, j'ai finalement été agréablement supris: tous les musiciens sont très attentifs et ne ménagent pas leurs efforts pour raffiner aussi bien que pour donner tout l'allant nécessaire à cette partition bigarrée, mais la mayonnaise a toujours du mal à monter. Le son monte mais n'explose, n'emporte ni ne ravit jamais, les musiciens semblent avoir confiance en eux mais pas dans l'ensemble: la faute au manque de conception d'envergure du chef? à un manque de répétition? à la jeunesse relative de l'ensemble? Le fait est que si elle avait le soutien constant des musiciens, Ann Hallenberg pouvait bien peu compter sur la gestuelle du chef pour sa perilleuse aventure. Peut-être aussi l'effectif de l'orchestre était-il trop réduit: 21 musciens dont seulement 5 vents, cela reste assez chambriste on s'en doute (et Hallenberg a souvent couvert l'orchestre!). Quelqu'un connait-il l'effectif original de l'orchestre? Au final, rien d'indigne donc, un simple manque d'excellence que l'on ne ressent que par comparaison et que l'on regrette devant l'exploit d'Ann Hallenberg.

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18 janvier 2009 7 18 /01 /janvier /2009 20:41

Fidelio
 de Beethoven

Opéra Garnier
11 décembre 2008

Mise en scène Johan Simons
Décors et lumières Jan Versweyveld
Costumes Greta Goiris
Dramaturgie Koen Tachelet
Dialogues Martin Mosebach


Don Fernando Paul Gay
Don Pizarro Alan Held
Florestan Jonas Kaufmann
Leonore Angela Denoke
Rocco Franz-Josef Selig
Marzelline Julia Kleiter
Jaquino Ales Briscein
Erster Gefangener Jason Bridges
Zweiter Gefangener Ugo Rabec

Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Chef des Choeurs Winfried Maczewski
Direction musicale Sylvain Cambreling


Photo: Bernd Uhlig


Plus d'un mois après ce spectacle, je n'ai finalement pas grand chose à en dire... c'était donc bien la peine d'attendre autant pour en faire un compte rendu! :o) Peu de choses à en dire car c'est finalement un pétard mouillé de plus, fruit de la politique artistique risquée de Gérard Mortier qui peut être à l'origine de spectacles éblouissants, mais qui aboutit le plus souvent à du raté. Et ici tout semble avoir été fait pour irriter aussi bien les connaisseurs, que les conservateurs ou les défenseurs de mise-en-scènes iconoclastes.
Je reste dubitatif sur les changements musicaux voulus par Sylvain Cambreling: sous prétexte de tonalité (je n'y connais rien!), nous reservir Leonore I qui est la moins réussie des 4 ouvertures, cela relève assez du pédantisme ("ah Leonore I la mal aimée et pourtant la plus adéquate!"); pour ce qui est des changements dramaturgiques, j'avoue ne pas assez bien connaître l'oeuvre pour me risquer à les juger, mais cette logique selon laquelle un compositeur n'a pas été jusqu'au bout de son génie à cause de contraintes contextuelles extérieures m'exaspère: le génie c'est aussi savoir jouer avec les contraintes! Et ce n'est pas parce que l'opéra de Paris imposait un ballet dans tous les opéras qu'il commandait à une époque, que ceux-ci sont sans intérêt car non initiés directement par l'esprit du compositeur. A quand une exposition "Si Rembrandt avait connu la gouache il aurait mieux peint?" Le livret de Fidelio a beau être critiquable, cela n'a pas empêché l'oeuvre de connaitre le succès depuis longtemps, et que les livrets d'opéra ne soient pas toujours de la meilleure eau, tu parles d'un scoop! Plus que des rédécouvertes musicologiques, tous ces remaniements sont plus souvent des pis-aller pour des interprêtes qui, ne pouvant interprêter avec génie, ont décidé de recréer. Le génie de l'interprête est celui de l'interstice, réussir à rendre présent et personnel une partition qui ne l'est a priori pas. Tout cela me rappelle le proverbe anglais "Don't blame the tools!": quand on sait que l'on a rien d'intéressant à exprimer, on s'attaque à l'outil dont on ne sait pas se servir correctement.
J'en finis avec mon coup de gueule par les dialogues de Martin Mosebach: ils ne sont pas si mal écrits que ça. Certes par rapport au livret original, on est un cran au dessus (pas difficile!) mais ce n'est pas pour autant que l'on atteint la grande littérature. C'est souvent pédant, parfois contre-productif ( le texte où Florestan détruit l'héroïsme de Léonore en lui faisant remarquer que sans l'arrivée du ministre, son plan aurait totalement foiré!), le plus souvent oubliable. Le plus gênant, c'est le rythme, totalement cassé par ces dialogues: on prétendait nous faire comprendre le glissement du léger au sérieux dans l'acte I, non seulement cela n'y a rien fait, mais en plus on s'est fait copieusement chier! Dramaturgiquement le I est déjà difficile, mais si en plus on nous l'entrecoupe de dialogues récités lourdement, lentement et sonorisés au micro! La même technique était déjà préjudiciable à la très belle Flute enchantée de La Fura dels Baus, mais dans l'onirisme visuel de la mise-en-scène ça passait (malgrè la stupidité des textes), ici pas d'onirisme, juste de la prise-de-tête stérile et plombante.


En parlant de plomb, la direction de Sylvain Cambreling. Une chose est sure, cela a de la personnalité et l'on est déjà au dessus de certains chefs à encéphalogrammes plats qui dirigent parfois dans cette fosse. Mais non contents d'arriver avec des gros sabots sur le livret, il chausse les talons compensés pour la partition: tous les archets se transforment en rouleau à patisserie et les vents semblent actionnés par des gonfleurs à matelas! "Ca crache!" comme disent les fan de tunning, sauf que l'on est pas dans une voiture et que l'acoustique d'un opéra fait que l'on y préfère le "fine tunning". Mais bon la finesse semble avoir été distribuée avec beaucoup de parcimonie ce soir là.


En parlant de finesse, la mise-en-scène de Johan Simons. Une chose est sure, ce n'est pas aussi mauvais que l'on aurait pu le craindre. Cela dit cette crainte était plus idéologique que fondée, à Paris on a guère vu qu'un Simon Boccanegra, un peu léger pour douter en bloc du reste de ses productions. Pour autant, je trouve que cela fourmille assez peu d'idées pour un "homme de théâtre" comme on aime à appeler les metteurs en scène du "Regitheater", là encore on s'est défoulé sur le livret pour mieux cacher le manque d'inspiration scénique. Le décor est froid mais intelligent: à l'acte I on est dans le hall d'une prison, cabine de surveillant à jardin, cellule commune derrière le mur du fond amovible et escalier descendant en milieu de scène. Au II le plancher est remonté et l'on se retrouve dans la geôle à laquelle menait cet escalier que l'on découvre entièrement grillagé. Plateau à profondeur triangulaire pour signifier l'absence d'espoir, jusqu'au final où les pans du mur s'ouvrent latéralement. Là dedans s'articule une direction d'acteurs intermittente mais signifiante, surtout au II où l'on inverse les espaces: à l'arrivée de Fernando, c'est l'escalier qui devient la prison de Pizarro. Plusieurs autres bonnes idées: l'air de Florestan chanté allongé sous une énorme lampe, façon garde-à-vue musclée, le paradoxe de l'aveuglement ("Welch Dunkel hier" dit Florestan) pourquoi pas; ou encore le choristes du final qui retirent leurs costumes tristounets pour faire montre de robes et chemises à fleurs dans le plus pur style grand-mère, ça marche. Bref ça essaye, mais ça ne va pas bien loin, et l'acte I est un naufrage, la transposition contemporaine n'apporte rien: Marzelline qui trie le linge propre et Leonore fascinée par son flingue... de pures recettes toutes faites pour metteur en scène en mal d'inspiration. On ne dira rien du creusement de la tombe qui a des allures de concours de chateau de sable.


Passés ces trois echecs là (réécriture, direction d'orchestre et mise-en-scène), c'est plutôt très bon. Passons sur les choeurs qui ont déjà une forte propension à tonitruance, alors avec Maestro Cambreling qui fait tout pour qu'ils se perdent en chemin et les concurrence sur le volume de décibels, c'est la cacophonie. La Marzelline de Julia Kleiter est très fraiche et enjouée malgrè le décor sinistre, un vrai plaisir comme souvent avec cette chanteuse; en Rocco Franz-Josef Selig n'est pas aussi marquant qu'en roi Marke, question de qualité du rôle il faut bien le dire, mais s'en sort bien; le Pizarro d'Alan Held est dans la tradition des vilains-méchants aussi impressionants que débraillés, mais la mise-en-scène l'y incite fortement, donc ça passe.
La Leonore d'Angela Denoke est plus problématique: on la sent en lutte avec la tessiture, les aigus sont là mais souvent blancs, elle voudrait faire passer beaucoup d'intentions mais son manque d'adéquation vocale vient sans cesse occuper ses efforts, si bien que le tout manque de liquidité et d'aisance, le rôle y gagne en aspect torturé mais y perd en héroïsme triomphant. C'est un peu la folle qui décide d'aller sauver son mari en s'y prenant n'importe comment.
Evidemment le Florestan de Jonas Kaufman fut resplendissant: débarassé d'une certaine mollesse de la prononciation qu'il peut avoir dans d'autres langues, mollesse qui va de paire avec une certaine application, il est ici dans son élement et se consacre tout entier à la couleur, le dessin venant presque naturellement. Ah ce premier "Gott!" longuement tenu puis diminué, dans lequel résonne l'espérance mourrante en une libération, aussi bien qu'en Dieu. On s'étonne que le metteur-en-scène ait souhaité immobilisé une telle bête de scène: l'image est forte et la puissance se montre aussi sous les chaînes, mais il aurait pu faire tellement plus d'un tel acteur.


Bref (oui dire cela après tout ce que j'ai écrit, c'est cocasse), une soirée devant laquelle on reprime un haussement d'épaule: l'objectif annoncé de nous faire entendre le vrai génie de Fidelio n'a pas été atteint, ou, s'il l'a été, je préfèrais de loin le faux!
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4 janvier 2009 7 04 /01 /janvier /2009 16:45
Allez! Pour le premier article de l'année, je vais liquider tous les commentaires en retard de 2008.  Mais comme il ne s'agit ici que de commentaires à l'emporte-pièce sans prétention critique réelle, je vais encore condenser la formule rédactionnelle, il ne s'agit ici, un peu comme dans l'article sur la saison lyrique parisienne, que de susciter le papotage.


Je ne dirai rien de La Fiancée vendue à Garnier ni de l'Idomeneo à Pleyel, le premier au delà d'une réalisation musicale honnête m'a ennuyé, la faute à la production de Gilbert Deflo qui n'a décidemment plus rien à dire, le second m'a enthousiasmé et tout cela est très bien dit chez Baja.


C'est décidé, je n'aime plus Angelika Kirschlager! Son récital d'opérettes viennoises avec Simon Keenlyside et dirigé par Minko et son orchestre a fini de me fâcher avec elle: timbre inconsistant, jeu appuyé, prononciation surarticulée et un manque total de délicatesse (comment peut-on chanter "Meine Lippen, die küssen so heiss" en faisant croire que le dernier mot est anglais?!). Simon Keenlyside m'a semblé furieusement indifférent à ce qu'il chantait, étonnant. Et la direction de Marc Minkowski a sonné atrocement sèche (ouverture du Fledermaus qu'on eut dit spinosiesque). A leur décharge je dois avouer que ce répertoire sent pour moi définitivement trop la naphtaline, je comptais sur ce concert pour y trouver du charme... ben non.


On jettera un voile critique pudique sur Les enfants du paradis à Garnier chorégraphié par Jose Martinez, une preuve de plus qu'un grand danseur ne fait pas un grand chorégraphe: drame incompréhensible, même pour moi qui connait le film par choeur, scénographie poussièreuse et langage chorégraphique d'une pauvreté affligeante quand il n'est pas ridicule (ah la gigue de la pute en colère!). La musique de Marc-Olivier Dupin est parfaitement fade.


Autre gros ratage: Welcome to the voice au Châtelet. Je n'aime pas avoir d'a priori, j'avais donc pris une place, après tout le cross over de Sting dans Dowland était plutôt réussi. Ici on touche le fond: la musique de Steve Nieve ressemble à une mauvaise bande originale et la mise-en-scène de Muriel Teodori singe étrangement l'esthétique d'Angels in america de Calvario.
Cette dernière a aussi commis le livret: un ouvrier nommé Dionysos (^^), passionné d'opéra et hanté par les fantomes de Butterfly, Carmen et Norma (déjà c'est d'un crédibilité limitée mais j'aime bien le réalisme poétique) tombe amoureux d'une diva qui sort du théâtre, sa maladresse à lui déclarer sa flamme fait craindre le viol à celle-çi qui appelle au secours; débarque la police avec à sa tête un excité du tazer (!) joué par Elvis Costello; mais bon, l'était pas vraiment méchant nous dit la scène suivante, c'est juste qu'il est malheureux parce qu'il a peur du bonheur (ça va très loin, hein!); au finish la chanteuse comprend sa méprise et tout se finit bien sur la répétition de "We all know what it is, what it, what-it-is"... je dois être un peu con parce que je n'ai toujours pas compris ce que c'était. Bref tout cela est déplorable.
Ajoutons que vocalement, à l'exception de la très belle et touchante diva de Sylvia Schwartz et des fantomes lyriques, c'est affreusement chanté: Sting comme Costello ont une technique très sommaire qui leur fait perdre toute personnalité et leur timbre caractérisitique dès qu'ils sortent du medium et, conception lyrique dix-neuviemiste oblige, quand ils en sortent c'est pour aller titiller l'aigu en voix de tête, et malgrè le confort de la sonorisation, c'est affreusement faux. A oublier.


Je vais finir sur une note plus positive avec trois spectacle réussis: le concert gratuit donné par l'orchestre de Paris dirigé par Pierre Boulez sous la pyramide du Louvre m'a agréablement surpris, je n'ai pas vu le temps passé pour cet Oiseau de feu alors même que l'acoustique du lieu est assez chaotique et que la gratuité de l'evenement était dommageable au confort de mon postérieur (autrement dit: pas de chaises).

Orchestralement mal dégrossi, avec des intentions louables de la part de John Nelson mais exécutées sans finesse, je n'étais allé à cette prestation de l'Ensemble orchestral de Paris que pour entendre La Mort de Cléopatre par Anna-Caterina Antonacci. Je me suis d'ailleurs eclipsé à l'entracte, la fatigue aidant (5 concerts en 1 semaine!). Sans doute mon attente était-elle démesurée: gardant le souvenir d'une Antonnacci idéale en Cassandre, je pensais avoir ici la puissance de Janet Baker transcendée par la diction superlative de l'italienne. Peut-être était-ce le manque de répétition, mais quelque chose a manqué. Le feu n'y était pas, la staticité peu habituelle de l'interprête y était sans doute pour quelque chose, mon placement au second balcon aussi, le tout faisait trop pièce de concert, mais après tout c'en est une. Si la chanteuse avait été inconnue je me serai enthousiasmé d'une lecture si limpide et noble, mais je reste persuadé qu'Antonnacci peut faire bien mieux là dedans.

Enfin le dernier mot pour le récital de Cecilia Bartoli à Pleyel: que du rechauffé; on lui reprochera à loisir d'annoncer si tard ses programmes surtout quand ils ne contiennent pas de nouveautéé, mais cela a le grand intérêt de trouver une interprête volontaire qui chante ce qui lui chante à ce moment précis. Et quand c'est Bartoli qui réchauffe en compagnie du vieux compagnon de route qu'est Sergio Ciomei, le goût a évolué. Premièrement grace au parcours musical de la dame depuis ce magnifique récital de Vicenza; ensuite du fait de l'évolution de sa voix. Toute sympathie pour Bartoli n'empêche pas de remarquer que le trille est de plus en plus lache, les vocalises de plus en plus mitraillées et sans le miroitement harmonique autour de chaque note qu'elle avait à ses débuts, ce n'est donc pas dans les morceaux virtuoses qu'elle a le plus brillé ce soir là, mais dans les pièces les plus pudiques, les plus tristes où les piani sont toujours aussi incroyables et l'investissement entier. Et les faiblesses évoquées plus haut sont peu de choses façe à la générosité et à la sincérité de la chanteuse. Il me semble toujours aussi incroyable qu'elle doive aller à Zurich pour trouver une oreille attentive à ses projets scéniques alors que l'Opéra comique ou même Garnier seraient des écrins idéaux pour sa voix. En bis nous eûmes droit à deux morceaux de Curtis jamais enregistrés par elle au disque sauf erreur de ma part: "Ti voglio tanto bene" et "Non ti scordar di me".
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