Die Feen de Wagner
Théâtre du Châtelet
Générale du 25 mars et représentation du 4 avril 2009
Mise en scène : Emilio Sagi
Décors : Daniel Bianco
Costumes : Jesus Ruiz
Lumières : Eduardo Bravo
Mouvements chorégraphiés : Diniz Sanchez
Ada : Christiane Libor, soprano
Farzana : Salomé Haller, soprano
Zemina : Eduarda Melo, soprano
Le Roi des Fées / Groma : Nicolas Testé, basse
Le prince Arindal : William Joyner, ténor
Lora : Lina Tetruashvili, soprano
Morald : Laurent Alvaro, baryton
Gernot : Laurent Naouri, baryton
Gunther : Brad Cooper, ténor
Drolla : Judith Gauthier, soprano
Harald : Neil Baker, baryton
Un messager : Vincent De Rooster, ténor
Chœurs des Musiciens du Louvre
Les Musiciens du Louvre - Grenoble
Marc Minkowski
Photo: Pierre Verdy/AFP
Musicalement ici, il n'y a guère que l'ouverture que je trouve maladroite: on y trouve déjà l'esquisse du système de leitmotiv (au moins 2 sont évidents: celui du dilemme déchirant d'Ada et celui de la victoire finale), mais la progression en est vraiment trop alambiquée, trop de contrastes, de redémarrage, obscurcissent la perspective, laquelle devrait ouvrir sur l'opéra. Mais passé cela, bien des morceaux de cet opéra seraient à citer parmi les plus belles réussites de l'opéra romantique: le superbe choeur initial, l'air d'entrée d'Ada, le final du I, l'air d'entrée de Lora (avec des vocalises qu'on dirait du Halévy!), la scène comique du II entre Gernot et Drolla (oui du comique chez Wagner, vous avez bien lu, et parfaitement mené!), la folie d'Arindal, la scène des épreuves et la grande scène triomphale qui conclut l'oeuvre. Entre ces morceaux ont trouve des passages qui m'ont semblé plus conventionnels, mais pas moins efficaces pour autant. Bref cet opéra c'est du Weber dopé au grand opéra français.
C'est aussi grace à un livret plutot bien écrit: passé le folklore du conte de fées et l'amont du drame assez emberlificoté, l'oeuvre est bien construite. L'Acte I est celui de l'exposition et du serment, il se passe entièrement au royaume des fées; l'Acte II se trouve lui au royaume terrestre et voit se dérouler les péripéties (la bataille, le parjure d'Arindal et la pétrification d'Ada); l'Acte III enfin est celui des épreuves où Arindal rattrape ses bourdes par son courage. Et au sein de chaque acte les scène s'enchainent très efficacement et logiquement.
Les personnages sont très bien choisis et vont toujours par couple: Arindal et Ada, Morald et Lora, Gernot et Drolla pour les couples d'amoureux; Farzana et Zemina (non ce ne sont pas des noms de pâtes, mais deux fées contre Arindal qui veulent que leur reine conserve son immortalité - si Ada se marie à un mortel, elle le devient aussi), Morald et Gunther pour les opposants au couple principal qui se veulent chacun adjuvants pour l'une des parties; Lora et Arindal, frère et soeur; Arindal et Gernot, Lora et Drolla pour les couples maîtres/valets. Il n'y a que Groma et le roi des fées qui, en bon monarques, soient seuls.
Cela dit le livret n'est pas non plus exempt de défauts: le personnage d'Arindal notemment est vraiment un héros couillon, mais cela me semble bien convenir à l'image du héros téméraire mais pas intello pour deux sous de l'époque. Le simple fait qu'il maudisse Ada alors que celle-ci insiste très lourdement avant et pendant la mise-à-l'epreuve de sa fidélité pour qu'il ne le fasse pas; ou bien la nécéssite pour Groma pendant les épreuves de III de toujours rappeller à Arindal que, putain il lui a donné 3 objets magiques, c'est pour s'en servir! Pareillement le coup de la mère matricide à la Médée est un peu enooorme, à la mode certes mais dans Norma c'était tout de même fait avec plus de subtilité, par ailleurs ici on comprend mal que tout le monde se réjouisse de voir surgir les deux marmots alors que l'ennemi est aux portes et qu'ils vont certainement tous y passer.
Alors avec un si bel opéra, comment s'en tire Emilio Sagi la mise-en-scène? Après la générale j'étais assez sévère, cette abondance de kitsch fait vite oublier toute vélléité de trouver du sens quelque part, et puis certains effets n'étaient pas encore réglés (les flash quand les enfants plongent dans la fournaise notemment). En la voyant une seconde fois, je serai plus indulgent. C'est kistch, c'est certains, mais du kitsch bien fait et riche, pas du Deflo quoi, on est plus proche de l'esthétique d'un James Bidgood par exemple. Et pour une histoire de fées façon Disney, pourquoi pas après tout. Le problème vient du fait qu'Emilio Sagi est plus un décorateur qu'un metteur en scène d'une part, et d'autre part que le sens qu'il apporte aux décors et costumes n'est pas assez lisible et cohérent pour que l'on ne se demande pas si l'on ne surinterprêtrait pas un peu tout de même.
Esthétiquement, c'est plutot bien fait, certes les danseurs en robes mousselines colorées façons smarties et avec des crêtes iroquois déteintes, faut aimer, le problème c'est quand on fait porté des robes du même acabit aux choristes lors du final, lesquels ont un corps bien moins sculpté que les danseurs évidemment, là ça vire à la cage aux folles, et quand les lumières se rallument pour les applaudissement... :-/ Les éclairages sont efficaces et jolis à défaut d'être plus.
Les costumes ont parfois du sens: l'armure dépourvue de corset pour Arindal au I, qui le retrouve au II, symbole de son renoncement à la lascivité (mais alors pourquoi Morald et Gunther sont aussi torse nu au I?), les longs doigts pointus en guise de baguettes magiques que portent les fées lorsqu'elles usent de leurs pouvoirs et qu'Ada retire un à un après le parjure au II, les ailes de fées (qui ressemblent plus à des filets de pecheurs teints par des hippies qu'autre chose, je vous l'accorde) qu'Ada retire après son air d'entrée signifiant ainsi que son choix est déjà fait; le grand drap troué d'où emergent les fées pendant le choeur intial qui ménage un bel effet de drapé (rappelant la célèbre photo de Rosa Ponselle en Norma) et souligne l'attachement quasi arachnéen des fées entre elles. Pas compris par contre pourquoi les sujets assiegés de l'acte II avaient le visage voilé.
Pour les décors ça devient plus aléatoire: le caisson bleu qui sert de cage de scène est assez élégant, permet de beaux éclairages et un renvoi de la voix des chanteurs optimal; la grosse rose sur laquelle apparait Ada relève par contre du contre sens total (en quoi l'amour serait-il pour elle un trône? au contraire son amour pour Arindal l'en éloigne!); la figure féminine en papier maché au II est d'un mauvais gout trop effrayant, je veux bien penser qu'elle traduit la vanité des aspirations d'immortalités et d'éternelle jeunesse auxquelles Farzana et Zemina veulent faire succomber Ada (d'où aussi leur jeu autour de la petite table à maquillage pendant cette scène), à la fin de la scène, Ada court d'ailleurs vers cette sculpture géante en fond de scène et la retourne aux yeux du public laissant apparaître sa grise cavité, laquelle peut aussi designer la pétrification à laquelle Ada se condamne en choisissant l'amour d'Arindal qu'elle sait faible humain (je suis bonne poire hein?!); pour le lustre échoué de l'acte III, je veux bien y voir aussi le symbole d'un royaume dont le luxe est rétabli après la victoire militaire, mais terni par la folie de son roi; mais je ne peux rien pour le gong sorti d'un mauvais épisode d'Indiana Jones au début du II, ainsi que le réseaux de tubes (??), encore moins pour les rideaux de ficelles lors de la scène des épreuves au III, désolé.
Ce pour quoi je ne peux rien non plus, c'est la direction d'acteurs... quand elle n'est pas conventionnelle, elle est totalement grotesque: la scène des apparitions pour tromper Arindal au I, apparitions que déjoue la magie d'Ada absente est totalement ratée (Gunther et Morald portent à tour de rôle des têtes énormes venues de Disneyland, et la révélation de la tromperie devrait être rendue par la chute de ces têtes, mais comme faut pas les abîmer, ce sont Gunther et Morald qui les font maladroitement choir en prenant bien soin de ne pas leur faire heurter le sol); les fumigènes pendant le récit de Gernot sont un effet assez pauvre qui n'est pas soutenu par des éclairages adéquats et encore moins par la gesticulation animale des trois compères; Arindal et sa poupée Barbie qu'il sert compulsivement, c'est en faire un être puéril qui ruine totalement l'image du guerrier amoureux que l'on trouve déjà dans les opéras du XVIIIème; les légos de l'acte II qui ont du être pensés pour traduire la débandade du royaume, tous ses sujets qui s'enfuient avec leurs effets avant de retrouver l'espoir à l'annonce du retour d'Arindal et de rebatir la cité, mais pourquoi Drolla et Gernot jouent-ils avec dans leur scène comique?; la corde qui sert à traduire la tourmente de la foule dans la bataille est un effet mal pensé, cache-sexe du manque d'imagination du metteur-en-scène pour régler les mouvements de foule; la folie d'Arindal passe totalement à la trappe, on croit juste à un être au mieux désespéré; et il est étonnant de la part d'un metteur-en-scène qui joue la carte de la féérie, de choisir de ne pas représenter la scène finale des épreuves, mais de la signifier par l'ouverture de boites qui oscille entre un mauvais jeux télé présenté par Arthur et l'effet lampe-torche des gosses qui se font peur sous la tente en colo, et pourquoi faire retirer le lustre au moment de la première épreuve quand on croit venir l'armée défendant l'entrée du royaume des fées? ah non ce ne sont que les déménageurs de l'amicale des chippendales; et pour ce qui est du gadget final (ces petits cercles lumineux que brandissent tous les chanteurs) on hésite entre le 14 juillet et une secte raëlienne. Pour finir sur une note positive, on peut par contre souligner que l'apparition de Gernot, Morald et Gunther sous le drap des fées qui se retirent, l'immolation des enfants, tout comme la pétrification dans ce grand cerceau en néon rouge sont plutot réussies.
Bref n'est pas David McVicar qui veut, mais on aurait tort de rejeter en bloc cette mise-en-scène qui joue le jeu du féérique parfois maladroitement et se veut un peu plus signifiante qu'une bluette du Met.
Musicalement par contre, c'est la fête et c'est bien parce que tout y est sujet d'admiration que l'on se prend à critiquer autant la mise-en-scène: Les musiciens du Louvre, leur choeur et Marc Minkowski sont proprement extraordinaires, on savait déjà que Minko était un maitre incontesté de Monteverdi à Mozart en passant par Handel et Gluck, et en poussant jusqu'à Berlioz et Weber (Obéron il y a quelques années à Gand je crois), on veut maintenant l'entendre plus souvent dans Wagner! L'excellence des musiciens (mon Dieu ces cordes!! cela dit en passant j'ai reperé un altiste absolument craquant) y est évidemment pour beaucoup, mais il n'est qu'à voir à quel point Minko dirige avec ferveur et enthousiasme pour comprendre d'où ils puisent leur energie. Cet orchestre là n'a pas à rougir dans le repertoire romantique devant les plus grandes formations mondiales.
J'avais trouvé William Joyner très insuffisant lors de la générale, en manque permanent d'aigus, sussurant tout l'acte III, mais il en avait bien le droit pour la générale, surtout pour finalement apparaître bien plus en forme une semaine et demie plus tard. La voix est toujours avare de couleurs, l'acteur rudimentaire, les aigus sont moins mis en mal sans être tous assurés pour autant, mais l'allemand est excellent, le chanteur vaillant et la discipline vocale louable dans Wagner où jamais il ne braille comme bien d'autres ténors wagneriens.
Christiane Libor fut par contre moins éclatante, le rôle est tout autant écrasant que celui de son amant, et sans doute la fatigue se fait sentir, à ce régime c'est bien compréhensible. Elle ne ménage pas ses efforts, l'émission est très haut placée d'où un déluge d'aigus parfaitement assurés, ce qui ne l'empeche pas d'aller chercher dans le grave, mais lui interdit d'avoir un allemand compréhensible. Dommage que l'actrice soit aussi prudente, un soutien du coté de la régie lui aurait beaucoup apporté, au moins se montre-t-elle très digne, et quand la musicalité vous sert à ce point de théâtre, surtout dans une oeuvre à la musique si pétrie de drame, ce n'est pas gênant du tout.
Salomé Haller est une Farzana superbe, parfaitement chantante (comme toujours!) et qui prend un plaisir évident à jouer les garces (dans la scène des épreuves notemment). La voix d'Eduarda Melo est par contre très aigre et acide, mais à coté d'une Farzana si ronde, sa Zemina y gagne en tranchant, toutes deux forment un couple parfaitement équilibré.
Lina Tetruashvili est sans doute celle qui fut la plus usée par les représentations: alors que son air d'entrée était parfaitement éxécuté et brillant lors de la générale, les aigus sont apparus grisonnants pour la soirée du 4, et la voix souvent en difficulté, handicapant ainsi la vaillance qu'elle cherche légitiment à insuffler à ce personnage de soeur combattive. Peut-être aussi le rôle aurait-il eu besoin d'une voix plus corsée, nonobstant ces critiques, elle campe son personnage avec enthousiasme.
Laurent Naouri est un Gernot délectable, l'acteur est toujours aussi vif et si l'allemand est mal accentué, au moins est-il parfaitement articulé, on ne va pas faire les difficiles devant une tel naturel théâtral et musical.
A ses coté Judith Gauthier confirme tout le bien que j'avais pensé d'elle en Oberto, elle est ici clairement sous-employée, mais s'ingénue à jouer les servantes avec un plaisir évident.
La voix de Laurent Alvaro ne m'avait jamais semblé si imposante, certains prétendent qu'il est sonorisé: ayant été assis assez proche de la scène je peux assurer que tout venait bien de lui, et à moins que ses impressionnants pectoraux ne recelent des enceintes habilement dissimulées, on ne peut qu'admirer voix de basse si bien projetée, au détriment d'une certaine variété oui, mais il y a tellement de basses qui projettent moins bien et sans varier que l'on ne va pas bouder notre plaisir auditif. Par ailleurs il sait très bien baisser le volume lors des duos et ensembles pour ne pas les déséquilibrer.
En roi des fées et Groma, Nicolas Testé est majestueux, la voix parait un peu abimée en comparaison de celle d'Alvaro, mais non moins vaillante et cela s'accorde bien avec la sagesse de l'age des deux monarques/magiciens.
Brad Cooper, Neil Baker et Vincent de Rooster chantent tous très bien leurs petit rôle, sans grande aura, mais faut pas non plus leur demander l'impossible avec si peu de notes.
Au delà d'une mise-en-scène incomplète et qui se fourvoye souvent (ça prouve au moins qu'elle essaye!), on retiendra donc de cette soirée un véritable enchantement musical et la découverte d'une oeuvre qui mérite bien plus d'honneurs que ceux qu'on lui a réservé jusqu'ici.
On trouve quelques vidéos de la générale sur internet: deux de bonne qualités sur le site classiquenews.com, mais il faut supporter le discours assez creux de Sagi entre les extraits. Et deux sur le site rue89, d'assez mauvaise qualité cependant.