29 mai 2008
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Gluck
Iphigénie en Tauride
Opéra Garnier
Générale du 20 mai 2008
Iphigénie en Tauride
Opéra Garnier
Générale du 20 mai 2008
Direction musicale Ivor Bolton
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Conception vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Saar Magal
Dramaturgie Miron Hakenbeck
Iphigénie Mireille Delunsch
Oreste Stéphane Degout
Pylade Yann Beuron
Thoas Franck Ferrari
Diane Salomé Haller
Iphigénie (rôle non chanté) Renate Jett
Choeur Accentus
Frieburger Barockorchester
Mise en scène Krzysztof Warlikowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Conception vidéo Denis Guéguin
Chorégraphie Saar Magal
Dramaturgie Miron Hakenbeck
Iphigénie Mireille Delunsch
Oreste Stéphane Degout
Pylade Yann Beuron
Thoas Franck Ferrari
Diane Salomé Haller
Iphigénie (rôle non chanté) Renate Jett
Choeur Accentus
Frieburger Barockorchester
Iphigénie en Tauride est certainement l'opéra de Gluck que je préfere, plusieurs raisons à cette préférence: c'est le premier que j'ai entendu (avec la Callas, version pas franchement fidèle à l'original, mais pour le ton de Maria, je supporte tout, même des brailleurs véristes); c'est avec cet opéra que je suis devenu un fervent admirateur de Mimi, de Keenlyside et de Minko et tous les autres chefs-d'oeuvre de Gluck ne m'ont jamais fait oublié l'émotion tant musicale que dramatique qui me transporte toujours à l'écoute de cet opéra. D'une densité dramatique et d'un impact musical extraordinaires, il reste pour moi un idéal de splendeur et de noblesse classique, lequel ne trouve jamais mieux à s'exprimer que dans les situations extrêmes. Du paroxysme et de l'implaccable logique c'est justement ce que n'a pas réussi à rendre Krzysztof Warlikowski à mon sens et cette reprise ne change que peu l'avis que je portais sur la mise-en-scène lors de sa création. Cependant, connaissant à présent mieux son discours, qui trouvait magnifiquement à s'exprimer dans Parsifal j'ai été plus à même de comprendre certaines subtilités parmi le torrent de signes indigeste et parfois brouillon que nous envoie cette mise en scène.
Evidemment à chaque reprise de spectacle on ne peut s'empêcher d'établir des comparaisons entre artistes: commençons par la direction et l'orchestre. Le Freiburger Barockorchester est un des meilleurs ensembles baroques actuels; René Jacobs l'affectionne tout particulièrement pour son ouverture à la nouveauté, son initiative et son professionalisme; Ivor Bolton est un grand chef baroque qui m'avait totalement bluffé dans son Alcina munichoise, la meilleure de la discographie pour ce qui est de l'orchestre, époustouflant d'épaisseur, de couleurs et de dynamicité. Il y a deux ans c'était les exhaustifs Musiciens du Louvre dirigés par ce génie qu'est Marc Minkowski qui s'y collaient: ils avaient pour eux une connaissance solide de la partition pour en avoir enregistré la version de référence cinq ans auparavant, connaissance qui ne serait rien sans toutes les qualités qu'on leur connait et que je loue suffisamment sur ce blog pour ne pas encore en rajouter une couche. Pour en revenir à notre spectacle, nos Freiburger ne déméritent pas: le son est plus sec, plus vert, plus "baroqueux", certains pupitres sont clairement mis en avant (les timbales, les vents), ils n'hésitent pas à jouer fort (couvrant parfois les chanteurs) et vivement. Dès le début tendu de l'ouverture on sent qu'Ivor Bolton veut insuffler un élan tragique à toute la partition, on est loin du calme champêtre de la version de Minko. Autre différence, là où le son des Musiciens du Louvre semblait être une évidence musicale, couler de source, miroitant de milles détails harmoniques sans pour autant négliger un certain emportement, les Freiburger jouent beaucoup plus la carte de la violence au détriment de l'hédonisme musical, un parti pris plus extrême qui porte ses fruits, notemment dans "Je t'implore et je tremble" qui ne m'a jamais autant dérangé psychologiquement, comme si la musique prenait plaisir à remuer le couteau dans la plaie. C'est donc une direction très "physique", plus percutante de Bolton qui insiste sur le coté torturé de la partition, interprétation en plein accord avec la vision de Warlikowski. Je ne saurais dire quelle version je préfère, les deux me comblant également en me procurant des émotions différentes.
Le Choeur Accentus dirigé par Laurence Equilbey fait du très bon boulot, manquant sans doute un peu de sauvagerie pour les Scythes, mais c'est tout de même de haut niveau.
Le Choeur Accentus dirigé par Laurence Equilbey fait du très bon boulot, manquant sans doute un peu de sauvagerie pour les Scythes, mais c'est tout de même de haut niveau.
Les chanteurs sont en plein accord avec cette interprétation orchestrale, donnant à cette générale une homogénéité rare sur les scènes d'opéra. Sept ans après le disque et après son très beau mais néanmoins distant récital à l'Opéra Comique, j'attendais Mireille Delunsch au tournant: je n'ai pas été déçu. Ce verbe si net et cassant, cet aigu acéré, cette pertinence de l'intonation, cette émission si tendue, cette présence redoutable en scène, galvanisée par la direction d'acteurs précise de Warlikowski, toutes ces qualités font d'elle une Iphigénie idéale, en qui l'orage vit encore; on pourra juste reprocher à ses graves d'être maintenant trop sourds ce qui gêne la compréhension de certains mots, mais un soir de générale, c'est bien compréhensible. Pour plus de détails sur le Mireille effect, ça se passe chez David.
Voir enfin Delunsch sur scène dans ce rôle et y entendre Stéphane Degout, voilà tout ce qui m'a motivé à revoir ce spectacle. Passer après Russell Braun est loin d'être un défi, se confronter au souvenir glor-i-eux (merci de faire la diérèse) de Keenlyside, l'est bien plus. Degout est exactement sur la même longueur d'onde que Delunsch, importance accordée à la prononciation, présence en scène impressionnante, mais c'est surtout cet art d'émouvoir à la seule façon de mener la voix qui me ravit; j'ai l'air de dire une évidence comme ça, mais chez beaucoup de chanteurs, on entend très bien ce qui relève du chant et ce qui relève du jeu (voire chez certains, on entend que le chant, puisqu'ils se dispensent de jouer le jeu...); or Degout fait partie de ce club restreint de chanteurs qui savent parfaitement intégrer le jeu dans le chant: comme chez la Callas il n'est pas une note qui ne soit sacrifiée à un effet expressioniste que l'on comprendrait parfaitement dans un tel rôle mais relèverait de la facilité. Dès lors cet Oreste transpire la pudeur, la retenue explosive (vous aussi chez vous, amusez vous à imiter le style de Breton), la virilité en bloc qui réussit pourtant à avoir l'élégance de la force.
Devant un tel monument on reste confondu et pourtant le chipoteur en moi n'est jamais loin car j'ai trouvé un défaut à cette interprétation, j'ai réussi! M'enfin c'est pas grand chose: dans la reprise du "Dieux qui me poursuivez", reprise directement inspirée de la forme da capo, j'ai trouvé dommage qu'il n'aille pas un cran plus loin dans l'expression; de la même façon que les ornements au da capo traduisent l'exacerbation du sentiment initial, ici il me semble nécessaire de rendre cette éxacerbation, pas par des ornements évidemment, mais par quelques effets simples qui peuvent faire mouche et que réussit parfaitement Keenlyside comme ces retenues de respiration (#) devant l'abyme "de l'enfer ## sous mes pas ## entrouverez ## les abimes!" ou bien la surarticulation de certaines consonnes ("seRont encoR tRop doux!"). Gageons qu'avec l'aisance acquise depuis la générale, Degout sera plus à l'aise et intensifiera naturellement ce passage pour donner à son desepoir une coloration plus farouche.
Devant un tel monument on reste confondu et pourtant le chipoteur en moi n'est jamais loin car j'ai trouvé un défaut à cette interprétation, j'ai réussi! M'enfin c'est pas grand chose: dans la reprise du "Dieux qui me poursuivez", reprise directement inspirée de la forme da capo, j'ai trouvé dommage qu'il n'aille pas un cran plus loin dans l'expression; de la même façon que les ornements au da capo traduisent l'exacerbation du sentiment initial, ici il me semble nécessaire de rendre cette éxacerbation, pas par des ornements évidemment, mais par quelques effets simples qui peuvent faire mouche et que réussit parfaitement Keenlyside comme ces retenues de respiration (#) devant l'abyme "de l'enfer ## sous mes pas ## entrouverez ## les abimes!" ou bien la surarticulation de certaines consonnes ("seRont encoR tRop doux!"). Gageons qu'avec l'aisance acquise depuis la générale, Degout sera plus à l'aise et intensifiera naturellement ce passage pour donner à son desepoir une coloration plus farouche.
Yann Beuron est toujours un sublime Pylade, avec un grave plus fourni qu'auparavant il me semble, ce qui n'est pas pour me déplaire. La simplicité et le français parfait qu'on lui connait sont évidemment toujours aussi enthousiasmants ici.
Les années passant les interprétations de Franck Ferrari me déplaisent toujours autant, Thoas est cependant le rôle dans lequel je le supporte le mieux, mais à l'heure où beaucoup font la fine bouche sur les "aboiements" de Naouri, la comparaison avec l'interprétation de ce dernier révèle à quel point le chant de Ferrari est débraillé, et le louable emportement avec lequel il joue son rôle semble vain, tant il est impuissant à rendre la noire prestance que son rôle exige.
Salomé Haller excelle décidemment dans les rôles religieux: après sa très belle prêtresse dans Thésée de Lully au TCE, la voilà en prêtresse de Diane. On ne trouve rien à redire tant cette voix franche et claire et cette éloquence altière sont presque trop luxueuses pour un si petit rôle.
Pour finir, cette mise-en-scène me semble toujours aussi indigeste: plutot que d'exploiter la force du drame, Krzysztof Warlikowski en superpose un autre, celui de la mémoire et de la viellesse, qui brouille les pistes et ruine ainsi l'économie du drame tragique, plutôt gênant pour un opéra réformé qui prétendait rompre avec les errances baroques; d'autant que la transposition dans le monde de la mafia est vraiment douteuse et évacue la force symbolique du sacrifice. Warlikowski se perd dans des détails (la dédicace à Marie-Antoinette), vient greffer des reflexions exogènes sur les conventions de l'art lyrique (Thoas dans sa loge qui jette des roses à Iphigénie) ou des marottes personnelles (les lavabos et la purification) et se vautre dans un esthétisme farfelu (les bodybuilders et leur séance d'art martial).
Cependant j'apprécie toujours autant la scénographie intelligente des panneaux de plexiglas qui structure l'espace de façon étouffante, permet aux superbes éclairages de faire tout leur effet et cré des conditions acoustiques idéales; certains tableaux sont toujours aussi touchants ("O malheureuse Iphigénie" chanté sur le bord de la scène au dessus de la fosse; la scène des furies où Oreste tue sa mère à répétition, même si moins d'outrance aurait été plus efficace), tandis que d'autres sont toujours aussi peu compréhensibles pour qui n'est pas agrégé de lettres classiques (la famille des Atrides convoquée avant le levée de rideau, avec Iphigénie en mariée - stratagème d'Agamemnon pour forcer Clytemnestre à l'amener en Aulide); des détails enfin ne m'ont toujours pas paru clairs (ce dragon peint sur le mur du fond, que vient-il faire dans une maison de retraite? pourquoi projeter les paroles des choeurs des Scythes en fond de scène? pourquoi Pylade est-il bourré pendant le "Divinité des grandes âmes"?).
Cependant j'apprécie toujours autant la scénographie intelligente des panneaux de plexiglas qui structure l'espace de façon étouffante, permet aux superbes éclairages de faire tout leur effet et cré des conditions acoustiques idéales; certains tableaux sont toujours aussi touchants ("O malheureuse Iphigénie" chanté sur le bord de la scène au dessus de la fosse; la scène des furies où Oreste tue sa mère à répétition, même si moins d'outrance aurait été plus efficace), tandis que d'autres sont toujours aussi peu compréhensibles pour qui n'est pas agrégé de lettres classiques (la famille des Atrides convoquée avant le levée de rideau, avec Iphigénie en mariée - stratagème d'Agamemnon pour forcer Clytemnestre à l'amener en Aulide); des détails enfin ne m'ont toujours pas paru clairs (ce dragon peint sur le mur du fond, que vient-il faire dans une maison de retraite? pourquoi projeter les paroles des choeurs des Scythes en fond de scène? pourquoi Pylade est-il bourré pendant le "Divinité des grandes âmes"?).
Nonobstant cette mise-en-scène ratée de la part d'un metteur-en-scène qui peut faire beaucoup mieux, j'ai passé une excellente soirée, loin de la routine de certaines reprises, et ce grâce à l'orchestre et son chef vraiment passionants, mais aussi grâce à cet Oreste imposant et à cette Iphigénie idéale. Le site de l'Opéra National de Paris propose deux vidéos de ce spectacle (version 2005) ainsi que des interview de Delunsch et Degout.