Tannhäuser de Wagner
Opera Bastille le 21 décembre 2007
Direction musicale Seiji Ozawa
Mise en scène Robert Carsen
Décors Paul Steinberg
Costumes Constance Hoffmann
Lumières Peter Van Praet
Chorégraphie Philippe Giraudeau
Tannhäuser Stephen Gould
Elisabeth Eva-Maria Westbroek
Venus Béatrice Uria-Monzon
Wolfram von Eschenbach Matthias Goerne
Hermann Franz Josef Selig
Walther von der Vogelweide Michael König
Biterolf Ralf Lukas
Heinrich der Schreiber Andreas Conrad
Reinmar von Zweter Wojtek Smilek
Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d'enfants de l'Opéra national de Paris
Au retour de ce spectacle plusieurs jugements s'imposent: tout d'abord, la mes est extrêmement riche, hautement signifiante et lisible, c'est l'une des plus conséquentes de Carsen que je connaisse; ensuite: c'est totalement à coté de la plaque; enfin musicalement c'est souvent l'extase, j'y reviens en fin d'article.
Commençons par la mes de Robert Carsen: j'en avais entendu le plus grand mal, notemment qu'elle ne collait pas du tout au sujet et sur ce point au moins c'est vrai, or comme je découvrais l'oeuvre ce soir, mon approche était vierge de tout a priori sur la façon de monter cet opéra. Le gros avantage avec Carsen c'est que les idées sont là et souvent superbement et clairement exprimées, loin des cafouillis de Warlikowski ou de la pédanterie (ça se dit?) de Marthaler, en voilà un qui donne tout son sens à la fonction interprétative du metteur en scène (oui j'aime bien jargonner des fois). Le problème est double, d'une les idées sont souvent mauvaises et les contre-sens nombreux, sans parler de la vulgarité qui vient souvent abimer ses productions par tache; de deux elles sont souvent les mêmes d'une mes à l'autre (le lit, les nus, le plateau final vide...). Avant d'entrer dans les détails de ce spectacle qui encore une fois pour être totalement hors sujet, n'en est pas moins gros d'excellents moments de théatre, il faut tout de même blamer la direction artistique de l'Opéra de Paris pour sa frilosité: Carsen à tous les étages, ça commence à bien faire, depuis que Mortier est là c'est tout de même le metteur en scène le plus présent et cette année on bat le record avec 4 productions signées Robert (Capriccio, Alcina et Tannhäuser - en même temps, je vous laisse deviner ce qui de la reprise ou de la création a été baclé... - Capuletti); alors certes il n'a eu qu'une création depuis l'arrivée de Mortier et c'est surtout Gall qui l'a fait rentré si profondément au répertoire de l'ONP, mais pourquoi reprendre autant de ses spectacles quand Mortier est si prompt à en remiser d'autres? Il doit certainement se dire que c'est un moindre mal, au moins ici il y a de la reflexion, cela ne remet pas grand chose en cause, mais ça se vaut. Je peux très bien le comprendre, mais alors pourquoi le proposer une nouvelle création, alors que le repertoire compte déjà son Lohengrin, quand tant de metteur en scène novateurs n'ont jamais mis les pieds à l'Opéra de Paris?!
Ceci dit, analysons le spectacle: cette mes est riche d'idées fortes qui sont trop intermittentes et parfois incohérentes mais surtout hors sujet. Résumons d'abord le propos en énumérant ces idées:
1. Lors de l'ouverture on decouvre que Tannhäuser est un peintre et Venus son modèle nu, sur un lit (forcément!), au fur et à mesure que la musique s'emporte on voit notre peintre s'agiter frénetiquement devant sa toile et des doubles apparaitre dans tous les coins de la scène entourant Venus, griffonant et déchirant fievreusement leurs esquisses pour ensuite se déshabiller (même remarque que la précédente parenthèse) et se transformer en pinceaux humains sur les nombreuses toiles qu'ils ont apportées se frottant voire se masturbant dessus. A noter qu'on ne voit jamais à quoi ressemblent les toiles qui ne sont visibles au public que de dos. Le thème principal est donc lancé, Tannhauser est un artiste maudit à l'époque du pop-art au pinceau brulant et aux oeuvres hautement érotiques. Le livret le fait poète, la musique chanteur, la scène le fera peintre et vogue la Gesamtkunstwerk. Ensuite c'est le grand vide, toute la scène avec Vénus n'est qu'allers et venus, gesticulations... ennui.
2. Lors de l'invocation à Marie, Venus s'enfuit à jardin et un pan du mur (à cour en fond de scène) s'ouvre laissant apparaître un large rayon de lumière pâle qui tranche avec le noir des murs de l'atelier-Venusberg, c'est par là qu'entrent les paysans (qui sont les doubles du peintre de l'ouverture) qui emporteront les toiles laissées sur le mur puis les chasseurs, tous habillés de smoking gris indifférenciés (ou si peu). A la fin de l'acte, Tannhauser, parti avec les chasseurs à travers le rayon lumineux, revient dans son atelier pour emmener sa toile puis les rejoint.
3. L'acte II est une exposition, les tableaux sur leur chevalet sont drapés, les lumières de la salle restent allumées, les chanteurs puis plus tard le choeur (habillé chic et choc seventies) font leur entrée sur scène par la salle, le choeur est donc le double du public sur scène.
4.Le tournoi voit les 3 concurents chanter leur poème et dévoiler en le terminant leur oeuvre picturale, que Tannhauser attaque en jettant les tableaux à terre avant de présenter le sien (peint chez Venus) qui choque l'assistance des bourgeois. A aucun moment on ne voit les oeuvres. S'en suivent de nombreuses pérégrinations des chanteurs dans le parterre, sans grand intéret. En partant à Rome, il emmene son tableau.
5. L'acte III retrouve le décor du I, l'atelier deserté (des feuillets éparses jonchent le sol, le chevalet est vide) de Tannhauser; Elisabeth y entre, se déshabille et s'enveloppe des draps du lit et quitte la scène après son duo avec Wolfram. Les pelerins reviennent avec les cadres dépourvus de toiles des tableaux emportés par les paysans-doubles du peintre au I (tout le monde suit?); évidemment, seul Tannhauser à garder le blanc soucis de sa toile et à son entrée, le pan du mur se referme et le rayon de lumière (par lequel étaient entrés Wolfram et Elisabeth) disparait.
6. Pendant leur duo Tannhauser menace Wolfram de son chevalet vide avant d'invoquer Venus en se remettant à peindre (il réinstalle sa toile sur son chevalet), celle-çi réapparait drapées de blanc comme au I, exactement comme... Elisabeth.
7. Vénus ne disparait pas quand Wolfram parle d'Elisabeth, au contraire, les deux s'installent sur le lit devant le peintre qui achève sa toile, sur laquelle ses deux muses, ses deux sources d'inspirations se marient enfin. Le pan de mur noir se lève alors, découvrant des murs blancs comme au II sur lesquels trônent des grands nus de l'histoire de la peinture; le choeur-public habillé de tenus colorées félicite alors Tannhauser pour son chef d'oeuvre que l'on accroche parmi les autres... à l'envers, le chef d'oeuvre inconnu. Personne il est mort, tout le monde il est content, y compris le public qui n'apparait pas comme réac au II, mais comme le juge véritable de l'art.
Comme on peut le voir, la mes est riche, y a du contenu, mais les idées apparaissent trop ponctuellement et la direction d'acteur ne les exploite pas juqu'au bout, du coup on a de quoi réfléchir environ une fois toutes les demi-heures; entre c'est le vide complet. C'est déjà ça me direz vous: certes, mais les incohérences sont nombreuses, fruits du plaquage de l'idée de départ sur une oeuvre qui ne l'accepte pas.
C'est tout d'abord la transposition: dans les années 70, choquer le public est un gage de valeur artistique, plaire au bourgeois c'est donc se vendre au mercantilisme, or ici au final c'est bien ce que fait Tannhauser, à cette époque sa reconnaissance finale est donc contradictoire; ensuite on voit mal ce que Tannhauser va foutre à Rome dans la mesure où il n'existe pas de pape, c'est à dire de détenteur du dogme dans cette période artistique post moderne caractérisée par la perte des critères artistiques.
Ensuite si le glissement du poète au chanteur était logique, le glissement du chanteur au peintre l'est bien moins: Carsen l'a sans doute senti en refusant de nous montrer les oeuvres peintes pour ne pas voler la vedette plastique au chant et conserver ainsi une part de caché, de sacré dans l'oeuvre de Tannhauser; mais cette part est bien maigre au regard de toute la dimension spirituelle qui passe à la trappe, surtout qu'à l'époque de la transposition, l'art devenu pure valeure marchande n'a plus rien de sacré! La dialectique entre pagannisme et christiannisme, entre amour charnel et amour chrétien perd tout son sens en étant transformé en opposition entre art brut et art classique; c'est d'ailleurs pourquoi Carsen travestit completement la fin de l'opéra.
Enfin opposer l'art "trop érotique" inspiré par Venus dans l'intimité de l'atelier à l'art "classique" inspiré par Elisabeth aux deux concurrents, cela réduit la portée des figures féminines, simples inspiratrices qui ne font que poser: Venus n'a plus rien de menaçant ("rhabille toi et dégage!"), Elisabeth n'a plus rien de salvateur ("vas-y mets toi à coté de Venus, je sens que ça vient!").
Au rang des réussites, on notera cependant les superbes éclairages de Peter van Praet, qui ont la qualité rare de se faire oublier alors qu'ils dessinent toute la caractérisation qui manque au décor rudimentaire.
En conclusion, Carsen aurait pu faire un superbe spectacle mais s'est trompé d'oeuvre: l'art de Tannhauser n'est que secondaire, ce n'est que l'expression de sa "religion"; transformer l'oeuvre en débat esthétique c'est donc la saboter et du coup tomber dans de nombreuses contradictions qui auraient pu être évitées dans une oeuvre plus adéquate. A croire que Carsen ne sait que raisonner sur l'art du spectacle (Capriccio, Les Contes d'Hoffman, Alcina, Candide portent plus ou moins sur l'art théatral/lyrique/télévisuel) et qu'il ne comprend pas la spiritualité, le sacré dont il découle pourtant.
Voilà pour la mes; si vous me lisez toujours :o) parlons maintenant du versant musical: Seiji Ozawa est le chef favori de l'orchestre de l'ONP qui donne donc ici son meilleur; pourtant j'avoue avoir trouvé tout le I, et surtout l'ouverture, trop sages pour ne pas dire timides, le travail du détail n'est pas à remettre en cause, mais cela manquait de panache et de drame. Heureusement le II les trouve plus en forme, c'est vraiment remarquable de luxuriance; le III est tout en dentelle symphonique, c'est d'une finesse et d'une émotion admirables. Découvrant l'oeuvre je manque malheureusement de réferences pour en dire plus, si ce n'est que rien que pour l'orchestre, je ne regrette pas de m'être cailler les miches dehors pendant 2 heures pour avoir une place debout... pendant 3 heures!
Le même handicap - en même temps je suis sur que je vous rends jaloux et nostalgiques de l'époque où vous découvriez tant de splendeurs wagneriennes inconnues gnarf gnarf - m'empechent également d'être prodigue sur les chanteurs: Stephen Gould chante un héros vaillant mais à l'allemand pateux, et à l'émission en force qui impressionne mais n'émeut guère, tenir la route dans un tel rôle tient déjà de l'exploit (d'autant qu'il s'investit beaucoup dans son rôle de peintre) mais on ne s'attache guère à son personage.
Ewa-Maria Westbroek est mon soprano wagnero-straussien idéal, j'avais déjà été ravi par sa Chrysothémis et sa Lady Macbeth de Mentzsk, ici je ne saurai mieux la résumer qu'en mariant les adjectifs: cette émission à la fois puissante et calme qui rend le chant si naturel, si élégant, ce timbre si limpide et coloré, cette présence scénique si téllurique et vive, ce chant si minéral et souple, fluide et percutant, pesant et cristallin me font soupirer (et c'est pas tous les jours que je soupire pour une wagnero-straussienne, je vous le dis!).
A coté d'elle le Wolfram de Matthias Goerne ne dépare pas, c'est d'une tenue, d'un moelleux et d'une pudeur profondément émouvants, il habite de son chant la scène où il ne se passe absolument rien pendant son air au III.
On ne peut malheureusement pas en dire autant de Béatrice Uria-Monzon qui souffre de l'absence de direction d'acteur claire pour sa scène du I: son timbre mate et chaud, son chant serré aurait cependant pu faire un contrepoids idéal à celui de Westbroeck mais quelque chose ne passe pas: la dureté d'Uria-Monzon, ses graves étouffés empêchent de voir en elle la déesse de l'amour charnel, la séductrice capiteuse. De plus la mes ne l'aide pas en faisant de son personnage une semi-pute furibonde loin de la colère divine.
Je ne m'avancerai guère sur les autres rôles dont aucun n'a choqué mon oreille, loin de là.
Bref si vous n'avez pas pu avoir de places pour le spectacle mondain de l'année, vous vous consolerez aisément avec la retransmission radio et je suis certains que la saison nous reserve d'autres occasions de discuter de l'art de la mise-en-scène lyrique: rien que pour ça, merci Gégé! :)