26 mai 2008
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Je regroupe ces deux spectacles pour une raison simple: je n'ai pas grand chose à dire sur eux découvrant les oeuvres, mais aussi parce que confronter ces deux mise-en-scène me semble éclairer ce qui me gêne toujours dans les mise en scène de Christoph Marthaler, son absence de poésie.
Tout d'abord le Wozzeck de Berg présenté à l'opéra Bastille le 16 avril. Comme beaucoup je me réjouissais de voir oeuvrer Marthaler dans une oeuvre qui pourrait supporter son discours plutôt que de jouer les trublions avec 30 ans de retard dans La Traviata ou Le Nozze di Figaro; de plus après le superbe Parsifal de Warlikowski, je m'attendais déjà de la même manière à être ébloui par ce metteur en scène dont le travail m'avait jusqu'ici déplu. Par ailleurs je trouvais l'affiche excellente (ce jouet grimaçant piégé dans un filet au dessus d'un bac à sable). Et bien c'est raté! Pour la musique proprement dite, ce repertoire m'étant encore inconnu, je ne saurai dépasser le j'aime bien/j'aime pas: Simon Keenlyside et Angela Denoke d'un coté, Sylvain Cambreling de l'autre.
J'ai trouvé ça très convenu, pour ne pas dire traditionnel, du Marthaler en pilote automatique qui semble à cours d'idées. Pour autant je reconnais que c'est extrêmement travaillé et pensé, mais cela ne débouche sur rien de clair ni d'émouvant. L'espace unique (pour signifier l'enfermement, ce n'est pas non plus d'une grande audace) de cette halle ceinte par le monde de l'enfance et du jeux dont les membres finissent par envahir l'espace, la transposition de Wozzeck en serveur, la direction d'acteur minutieuse notemment pour régler le mouvement des figurants, tout cela fait très réaliste... le problème c'est que Marthaler ne sait pas évoquer, il ne sait que montrer de façon surexposée voire pédante (je repense à l'acte chez Flora dans La Traviata, ou comment dire des banalités sur la bourgeoisie de façon lourdement appuyée), or ici il n'a pas grand chose à montrer passée l'intelligence du décor d'Anna Viebrock (qui me semble d'ailleurs faire preuve de bien plus de talent pour la mise en scène mais passons); on perçoit bien les nombreux signes pourtant (ce pianiste à jardin, le ballon monstrueux de l'enfant, les différentes portes d'entrée dans l'espace...) mais faute de pouvoir leur donner sens en les liant les uns aux autres, on les oublie et la mise-en-scène perd en efficacité. Du coup coté cérébral, on a pas grand chose à se mettre sous la dent; or Marthaler étant impuissant à évoquer et se privant des ressources de la multiplicité des décors, l'émotion n'est pas là non plus. On m'a dit que Wozzeck n'était pas une oeuvre censée émouvoir, je veux bien le croire, n'empêche que Marthaler n'a pas réussi à me faire réfléchir dessus pour autant.
Conclusion: aucune fécondité intellectuelle ou émouvante (du moins pour moi). J'en viens donc à me demander si Marthaler ne jouit pas finalement d'une réputation ancienne qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui: je ne connais pas son travail purement théâtral, mais le voir si sec devant une telle oeuvre m'interpelle quant à sa prétendue intelligence d'homme de théâtre contemporain. Au titre des comparaisons Warlikowski ou Py ont bien plus à dire et le disent avec bien plus de savoir-faire théâtral. On est pourtant loin de l'indigence d'un Deflo, mais Marthaler me semble être meilleur théoricien que practicien: il n'a aucune poésie.
Alors pourquoi rapprocher cela du Prigionniero de Dallapicola et de l'Ode à Napoléon de Schonberg présentés à Garnier le 21 avril dans une mise en scène de Luis Pasqual? Simplement parce que cette mise-en-scène tout aussi traditionnelle, ne s'est pas privée, elle, de sa force d'évocation poétique. Tant dans l'Ode à Napoléon façon cabaret interlope qui rappelle le numéro d'Helmut Berger dans Les Damnés (décidemment!) que dans Il Prigioniero, le metteur en scène accompagne magnifiquement le propos dense et puissant des oeuvres sans en rajouter, en suscitant seulement l'imagination du spectateur par un décor somptueux. Il ne dit rien d'étonnant sur l'oeuvre, ni ne se tait devant elle, il accompagne juste son discours en laissant au spectateur le soin de l'interprêter. Je ne voudrais pas faire mon vieux latiniste pédant après avoir reproché ce défaut à Marthaler, mais la conception de l'art selon Lucrèce, le miel, le remède tout ça, bref la poésie et les idées, c'est bien ce que n'a pas compris Marthaler et qu'a mis en oeuvre Pasqual. Quand le discours d'une oeuvre est suffisamment riche (et c'est courant pour ce repertoire), vouloir à tout prix l'enrichir de son propre discours sans auparavant accompagner l'existant avec sa voix, c'est rendre le tout indigeste et inopérant, or un opéra inopérant... (ratata pouet pouet applause).
Musicalement l'orchestre dirigé par Lothar Zagrosek m'a semblé très riche (bien plus en tout cas que sous la baguette de Cambreling à coté, mais peut être est-ce du aux oeuvres elles même); Chris Merritt est décidemment formidable dans le XXème siècle, même si la voix est en ruine, la présence et le sens dramatique sont encore précieux; même remarque pour Rosalind Plowright, une glorieuse ruine parfaite pour la mère éperdue; même Evgeny Nikitin qui me semble toujours pallichon m'a plu ici. Enfin Dale Duesing pour l'Ode à Napoléon c'est du pain béni, j'en regrette même de ne pas avoir lu le texte auparavant: le découvrant j'en ai loupé presque toute la finesse et n'ai pu apprécier toutes les subtilités de l'interprétation délivrée par ce brillant acteur qui enchanta ma découverte d'Orphée aux Enfers ou de Splendeur et décadence de la ville de Mahagonny sur Arte.
En conclusion Marthaler m'a semblé avoir peu à dire sur Wozzeck, mais l'a dit tellement fort qu'on en a plus entendu l'oeuvre, tandis que Pasqual avait tout aussi peu à dire sur Il Prigionniero et a donc préférer nous faire entendre l'oeuvre. Bien évidemment mon jugement est ultra subjectif, donc pour un avis différent et plus connaisseur de ce repertoire, je vous incite à aller lire Friedmund.
Cependant avant de conclure, je tiens tout de même à clarifier mon propos en l'éloignant de la critique habituelle et stupide que l'on pourrait formuler ainsi "le metteur en scene se met entre vous et l'oeuvre": les mise-en-scène les plus réussies selon moi sont celles où le discours du metteur en scène trouve à s'illustrer avant tout dans la valorisation personnelle de l'oeuvre, valorisation où l'esthétique et l'intellectuel sont liés dans des proportions diverses (Warlikowski, Py, Audy, La Fura dels Baus, McVicar, Engel, Mussbach, Wilson, Carsen...); à coté il existe aussi une valorisation plus impersonnelle des oeuvres qui s'appuie uniquement sur une esthétique tradtionnelle(Zeffirelli, Deflo...); ou bien une valorisation personnelle qui refuse l'esthétique traditionnelle et son pouvoir d'évocation assimilé à du divertissement parasite (ce que l'on appelle l'esthétique de la laideur) et s'appuie surtout sur l'intellectuel (Marthaler, Bieito,...). Au sein de ce schéma grossier, le pire c'est encore quand le metteur en scène se tait, ne fait pas son boulot et par conséquent ne se met pas entre vous et l'oeuvre, un peu comme si un chanteur ne se mettait pas entre vous et la partition en ne chantant pas.
Tout d'abord le Wozzeck de Berg présenté à l'opéra Bastille le 16 avril. Comme beaucoup je me réjouissais de voir oeuvrer Marthaler dans une oeuvre qui pourrait supporter son discours plutôt que de jouer les trublions avec 30 ans de retard dans La Traviata ou Le Nozze di Figaro; de plus après le superbe Parsifal de Warlikowski, je m'attendais déjà de la même manière à être ébloui par ce metteur en scène dont le travail m'avait jusqu'ici déplu. Par ailleurs je trouvais l'affiche excellente (ce jouet grimaçant piégé dans un filet au dessus d'un bac à sable). Et bien c'est raté! Pour la musique proprement dite, ce repertoire m'étant encore inconnu, je ne saurai dépasser le j'aime bien/j'aime pas: Simon Keenlyside et Angela Denoke d'un coté, Sylvain Cambreling de l'autre.
J'ai trouvé ça très convenu, pour ne pas dire traditionnel, du Marthaler en pilote automatique qui semble à cours d'idées. Pour autant je reconnais que c'est extrêmement travaillé et pensé, mais cela ne débouche sur rien de clair ni d'émouvant. L'espace unique (pour signifier l'enfermement, ce n'est pas non plus d'une grande audace) de cette halle ceinte par le monde de l'enfance et du jeux dont les membres finissent par envahir l'espace, la transposition de Wozzeck en serveur, la direction d'acteur minutieuse notemment pour régler le mouvement des figurants, tout cela fait très réaliste... le problème c'est que Marthaler ne sait pas évoquer, il ne sait que montrer de façon surexposée voire pédante (je repense à l'acte chez Flora dans La Traviata, ou comment dire des banalités sur la bourgeoisie de façon lourdement appuyée), or ici il n'a pas grand chose à montrer passée l'intelligence du décor d'Anna Viebrock (qui me semble d'ailleurs faire preuve de bien plus de talent pour la mise en scène mais passons); on perçoit bien les nombreux signes pourtant (ce pianiste à jardin, le ballon monstrueux de l'enfant, les différentes portes d'entrée dans l'espace...) mais faute de pouvoir leur donner sens en les liant les uns aux autres, on les oublie et la mise-en-scène perd en efficacité. Du coup coté cérébral, on a pas grand chose à se mettre sous la dent; or Marthaler étant impuissant à évoquer et se privant des ressources de la multiplicité des décors, l'émotion n'est pas là non plus. On m'a dit que Wozzeck n'était pas une oeuvre censée émouvoir, je veux bien le croire, n'empêche que Marthaler n'a pas réussi à me faire réfléchir dessus pour autant.
Conclusion: aucune fécondité intellectuelle ou émouvante (du moins pour moi). J'en viens donc à me demander si Marthaler ne jouit pas finalement d'une réputation ancienne qui n'a plus lieu d'être aujourd'hui: je ne connais pas son travail purement théâtral, mais le voir si sec devant une telle oeuvre m'interpelle quant à sa prétendue intelligence d'homme de théâtre contemporain. Au titre des comparaisons Warlikowski ou Py ont bien plus à dire et le disent avec bien plus de savoir-faire théâtral. On est pourtant loin de l'indigence d'un Deflo, mais Marthaler me semble être meilleur théoricien que practicien: il n'a aucune poésie.
Alors pourquoi rapprocher cela du Prigionniero de Dallapicola et de l'Ode à Napoléon de Schonberg présentés à Garnier le 21 avril dans une mise en scène de Luis Pasqual? Simplement parce que cette mise-en-scène tout aussi traditionnelle, ne s'est pas privée, elle, de sa force d'évocation poétique. Tant dans l'Ode à Napoléon façon cabaret interlope qui rappelle le numéro d'Helmut Berger dans Les Damnés (décidemment!) que dans Il Prigioniero, le metteur en scène accompagne magnifiquement le propos dense et puissant des oeuvres sans en rajouter, en suscitant seulement l'imagination du spectateur par un décor somptueux. Il ne dit rien d'étonnant sur l'oeuvre, ni ne se tait devant elle, il accompagne juste son discours en laissant au spectateur le soin de l'interprêter. Je ne voudrais pas faire mon vieux latiniste pédant après avoir reproché ce défaut à Marthaler, mais la conception de l'art selon Lucrèce, le miel, le remède tout ça, bref la poésie et les idées, c'est bien ce que n'a pas compris Marthaler et qu'a mis en oeuvre Pasqual. Quand le discours d'une oeuvre est suffisamment riche (et c'est courant pour ce repertoire), vouloir à tout prix l'enrichir de son propre discours sans auparavant accompagner l'existant avec sa voix, c'est rendre le tout indigeste et inopérant, or un opéra inopérant... (ratata pouet pouet applause).
Musicalement l'orchestre dirigé par Lothar Zagrosek m'a semblé très riche (bien plus en tout cas que sous la baguette de Cambreling à coté, mais peut être est-ce du aux oeuvres elles même); Chris Merritt est décidemment formidable dans le XXème siècle, même si la voix est en ruine, la présence et le sens dramatique sont encore précieux; même remarque pour Rosalind Plowright, une glorieuse ruine parfaite pour la mère éperdue; même Evgeny Nikitin qui me semble toujours pallichon m'a plu ici. Enfin Dale Duesing pour l'Ode à Napoléon c'est du pain béni, j'en regrette même de ne pas avoir lu le texte auparavant: le découvrant j'en ai loupé presque toute la finesse et n'ai pu apprécier toutes les subtilités de l'interprétation délivrée par ce brillant acteur qui enchanta ma découverte d'Orphée aux Enfers ou de Splendeur et décadence de la ville de Mahagonny sur Arte.
En conclusion Marthaler m'a semblé avoir peu à dire sur Wozzeck, mais l'a dit tellement fort qu'on en a plus entendu l'oeuvre, tandis que Pasqual avait tout aussi peu à dire sur Il Prigionniero et a donc préférer nous faire entendre l'oeuvre. Bien évidemment mon jugement est ultra subjectif, donc pour un avis différent et plus connaisseur de ce repertoire, je vous incite à aller lire Friedmund.
Cependant avant de conclure, je tiens tout de même à clarifier mon propos en l'éloignant de la critique habituelle et stupide que l'on pourrait formuler ainsi "le metteur en scene se met entre vous et l'oeuvre": les mise-en-scène les plus réussies selon moi sont celles où le discours du metteur en scène trouve à s'illustrer avant tout dans la valorisation personnelle de l'oeuvre, valorisation où l'esthétique et l'intellectuel sont liés dans des proportions diverses (Warlikowski, Py, Audy, La Fura dels Baus, McVicar, Engel, Mussbach, Wilson, Carsen...); à coté il existe aussi une valorisation plus impersonnelle des oeuvres qui s'appuie uniquement sur une esthétique tradtionnelle(Zeffirelli, Deflo...); ou bien une valorisation personnelle qui refuse l'esthétique traditionnelle et son pouvoir d'évocation assimilé à du divertissement parasite (ce que l'on appelle l'esthétique de la laideur) et s'appuie surtout sur l'intellectuel (Marthaler, Bieito,...). Au sein de ce schéma grossier, le pire c'est encore quand le metteur en scène se tait, ne fait pas son boulot et par conséquent ne se met pas entre vous et l'oeuvre, un peu comme si un chanteur ne se mettait pas entre vous et la partition en ne chantant pas.